Un tunnel dans le lac Léman pour relier Genève et Lausanne

Illustration du tunnel submergé dimensionné par Elia Notari. © E. Notari / EPFL 2018

Illustration du tunnel submergé dimensionné par Elia Notari. © E. Notari / EPFL 2018

Série d’été. Projets d’étudiants (5/9): Inspiré par l’Hyperloop d’Elon Musk et l’héritage du Swissmetro, un projet de master en génie civil de l'EPFL propose une étude préliminaire de train à haute vitesse immergé dans le lac Léman.

Vous arrivez, comme chaque matin, à la gare de Genève-Cornavin. Vous remarquez ce jour-là un nouveau panneau à l’entrée du bâtiment: une sorte de train immergé dans l’eau. Des vaguelettes délimitent la frontière entre l’eau et la surface. En vous approchant du panneau, vous notez quelque chose d’étrange au niveau des rails: le train n’a pas de roue. Il semble comme suspendu en l’air.

Vous suivez la flèche et aboutissez, quelques mètres plus loin, à un ascenseur. Au-dessus des portes apparaît une destination: «Lausanne». Votre destination. Vous appelez l’ascenseur. Il descend et descend encore dans les profondeurs du sol, sous l’œil médusé de vos compagnons de voyage. Les portes s’ouvrent enfin sur une gare flambant neuve où s’agglutinent des pendulaires. Le train ne roule pas sur des rails mais «lévite» au-dessus d’elles. Il vous a transporté à Lausanne en une dizaine de minutes. A votre grande stupeur, vous avez traversé les eaux du lac Léman. Un nouvel ascenseur vous attend à la sortie et vous propulse à nouveau en surface, dans l’agitation familière de la gare de Lausanne.

Traces du Swissmetro

Elia Notari vient d’obtenir un master en génie civil à l’EPFL. Ce train utopique, il l’a imaginé dans le cadre de son projet de master supervisé par Aurelio Muttoni, professeur ordinaire et directeur du Laboratoire de constructions en béton (IBETON). Bien sûr, les personnes avisées ne manqueront pas d’y reconnaître les traces du Swissmetro, un métro futuriste imaginé par l’EPFL dans les années 1990 qui devait relier les principales villes de Suisse à une vitesse de 500km/h. L’étudiant a même fait de son projet de master une variante du Swissmetro, qui, lui, prévoyait de faire circuler ses trains dans un tunnel souterrain, mais pas à travers les eaux du lac Léman.

Construire un métro dans le lac Léman? Ce qui relève du sacrilège pour certains devient pour d’autres un passionnant défi technique. Car une telle construction fait appel à de multiples disciplines, alliant la structure à l’hydraulique et de la géotechnique à l’étude d’impact sur l’environnement.

Pont submergé

Elia Notari a concentré son travail sur la conception et le dimensionnement d’un tunnel en béton armé abritant un train à deux voies appelé «pont submergé». Celui-ci, d’environ 55 km de long, atteindrait une vitesse-éclair grâce à la «sustentation magnétique» (Magnetic levitation - Maglev), un système basé sur la force magnétique: une série d’aimants posés sur les rails repoussent d’autres aimants fixés sous le wagon et le font léviter. Dans une autre variante, les aimants sont actionnés par l’induction d’un courant dans la voie.

Figure 1. Plan de coupe des deux voies de train et des compartiments contenant du ballast. © 2018 EPFL / E. Notari

Aucun transport ne dispose à ce jour d’un tel système mais de nombreux pays testent des prototypes et en planifient la construction à relativement court terme. En 2015, un prototype de Shinkansen Maglev de la compagnie japonaise JR Central a battu un record du monde en atteignant une vitesse de pointe de 603 km/h. Pour son travail, Elia Notari s’est inspiré de directives d’application allemandes, adaptées à la courte distance qui sépare Genève de Lausanne.

Variantes

Plusieurs options s’offrent à l’ingénieur qui souhaite construire un train sous la surface de l’eau. Le tunnel peut par exemple être creusé dans le sol, comme celui de l’Eurostar sous la Manche.

La Norvège, elle, étudie une autre option pour relier ses fjords à ses villes: un tunnel immergé soutenu par toute une série de flotteurs visibles en surface. Enfin, un autre système consiste à poser au sol des tirants (tiges métalliques) jusqu’au tunnel. Une option uniquement valable si le tunnel possède lui-même une grande capacité de flottage.

Des variantes qui se sont toutes révélées problématiques pour le lac Léman. Notamment parce que la clarté de ses eaux compte de nombreux adeptes et a obligé l’étudiant à envisager une immersion de son tunnel à au moins 20 mètres de profondeur.

A 30 mètres de profondeur

Elia Notari a finalement opté pour un pont submergé à 30 mètres de profondeur soutenu par des piliers en béton armé. Cette solution présentait le plus d’avantages en termes de rigidité, une donnée fondamentale pour installer un train à haute vitesse, et de protection, en cas d’inondation interne. D’autres avantages notables ont orienté sa décision. Cette variante offrirait à l’ensemble de l’infrastructure une température constante qui lui éviterait des déformations thermiques liées au rythme des saisons. L’action des vagues y est en outre la plus faible à cette profondeur et aucun conflit avec les structures existantes ne poserait problème.

La pression hydrostatique serait même favorable à la solidité des 199 modules du tunnel en béton. Un tunnel que l’ingénieur a évalué à 14,5m de diamètre et conçu pour résister aux séismes, explosions internes et externes, inondations, tsunamis et glissements de terrain. Des compartiments contenant du ballast permettraient en tout temps d’équilibrer le pont selon la poussée d’Archimède (voir fig.1).

Pour s’adapter à la topographie du lac, la hauteur des piliers du tunnel varierait de 7,5m à 45m, pour 6m de diamètre. Le tracé du pont suivrait les côtes du Léman. Enfin, les terminus de la ligne rejoindraient le cœur des gares de Genève et Lausanne grâce à des ascenseurs.

Figure 2. Le tracé du tunnel longerait les côtes du lac Léman. © EPFL 2018 / E. Notari

Pas si utopique, techniquement réaliste

L’idée de pont submergé dans le Léman ne paraît pas si utopique aux yeux du jeune diplômé: «Le concept de pont submergé existe depuis un siècle. Grâce aux plateformes pétrolières et aux parcs éoliens offshore, notre savoir en la matière a beaucoup évolué. Ce qui nous manque, c’est un investisseur pionnier qui serait d’accord de financer la construction d’un tel prototype.»

Pour Aurelio Muttoni, les projets de transports à haute performance sont effectivement prometteurs: «La solution étudiée par Elia Notari est techniquement réaliste. J’ai moi-même projeté une solution similaire dans les années 1990 pour l’étude de faisabilité de la traversée du lac de Lugano, dans le cadre de l’extension vers le Sud de la ligne de chemin de fer à haute vitesse du Gothard», précise-t-il. Le professeur indique en outre que l’intérêt autour de l’Hyperloop, le projet de train ultra-rapide financé par Elon Musk, l’a incité à proposer ce sujet d’étude. (Lire à ce sujet EPFL Actualités du 23.07.2018)

Mais en raison de la complexité du contexte, des enjeux environnementaux et du coût d’un tel ouvrage, l’expert assure que le lac Léman peut encore compter sur de nombreuses années de tranquillité avant d’abriter un train ultra-rapide.

Références

Elia Notari, "Conception et dimensionnement d’un pont submergé dans le lac Léman", Projet de master supervisé par Aurelio Muttoni, Laboratoire de constructions en béton (IBETON), 2018.