Une nouvelle mutation à l'origine des synucléinopathies

EPFL/ iStock

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Des scientifiques de l’EPFL ont mené une vaste étude sur une mutation récemment découverte et capable de fournir de nouvelles données à propos de la base moléculaire de la formation d’une famille de pathologies, parmi lesquelles la démence à corps de Lewy et la maladie de Parkinson.

La maladie de Parkinson et la démence à corps de Lewy appartiennent à une famille de troubles neurodégénératifs appelés synucléinopathies car elles sont dues à l’accumulation pathologique de la protéine alpha-synucléine dans des structures appelées corps de Lewy et neurites de Lewy dans le cerveau.

Dans un cerveau sain, l’alpha-synucléine se trouve dans les synapses comme protéines distinctes appelées monomères. Mais diverses mutations du gène qui code l’alpha-synucléine peuvent amener la protéine à s’agglutiner et à former des oligomères plus grands et des fibrilles encore plus grandes.

Des scientifiques ont identifié et cartographié beaucoup de mutations du gène de l’alpha-synucléine qui entraînent les synucléinopathies. De nombreuses études, dont les travaux du laboratoire de Hilal Lashuel, montrent que les mutations peuvent aussi agir par des mécanismes distincts, aboutissant à la même pathologie. L’étude de ces mutations, bien qu’elles soient rares, a permis de faire des découvertes importantes et d’identifier différents mécanismes qui contribuent à la neurodégénérescence et au développement de la maladie de Parkinson.

Une nouvelle mutation

Toutefois, en 2020, une étude a révélé une nouvelle mutation du gène de l’alpha-synucléine chez un patient atteint de démence à corps de Lewy et d’une dégénérescence atypique des lobes frontaux et temporaux. La mutation remplace l’acide aminé glutamate (E) par une glutamine (Q) à la 83e position de la séquence d’acides aminés de la protéine, ce qui explique pourquoi la mutation est appelée E83Q. Cette mutation se distingue de toutes les mutations précédemment identifiées car elle se trouve au milieu du domaine qui régule les fonctions normales de l’alpha-synucléine (interaction avec les membranes) et qui entraîne l’initiation de l’agrégation et de la formation de la pathologie.

Explorer une nouvelle voie

«J’ai été intrigué par la position unique de cette mutation et par le fait que le porteur de la mutation E83Q présentait une pathologie à corps de Lewy sévère dans les régions corticales et hippocampiques du cerveau plutôt que dans la substantia nigra habituelle, qui tend à être principalement touchée par la maladie de Parkinson», explique Hilal Lashuel de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL.

Il ajoute: «Ces observations suggèrent que la nouvelle mutation pourrait influencer la structure, l’agrégation et la pathogénicité de l’alpha-synucléine par des mécanismes distincts de ceux des autres mutations. Elles pourraient nous aider à découvrir de nouveaux mécanismes liant l’alpha-synucléine à la neurodégénérescence et à la formation de pathologies dans la maladie de Parkinson».

Les scientifiques ont travaillé avec les groupes de Markus Zweckstetter du DZNE en Allemagne et de Frank Sobott de l’Université de Leeds. Ils ont appliqué une batterie d’approches biochimiques, structurelles et d’imagerie pour comprendre comment cette mutation modifie la structure des différentes formes d’alpha-synucléine et ses propriétés d’agrégation in vitro. Ils ont ensuite utilisé une combinaison de modèles cellulaires de formation de corps de Lewy pour déterminer comment la mutation E83Q influence divers aspects de l’alpha-synucléine associés à sa fonction normale et à sa pathologie.

Leurs études in vitro ont montré que non seulement cette mutation augmentait considérablement le taux d’agrégation de l’alpha-synucléine mais aussi qu’elle formait des agrégats présentant des signatures structurelles et morphologiques distinctes de celles observées avec la protéine normale. «C’était passionnant car des études récentes ont montré que des agrégats de structures variées présentent des différences dans leur capacité à induire une pathologie et à se propager dans des modèles murins de la maladie de Parkinson, ce qui pourrait expliquer l’hétérogénéité clinique de la maladie de Parkinson et d’autres maladies neurodégénératives», confie Senthil T. Kumar, l’un des principaux auteurs de l’étude.

Pour savoir si ces variations structurelles peuvent se traduire par des différences dans la formation de pathologies et la toxicité, les chercheuses et chercheurs ont comparé la capacité de la mutation E83Q et de la protéine alpha-synucléine normale à entraîner des pathologies dans un modèle neuronal de formation de corps de Lewy et de neurodégénérescence. Celui-ci a été mis au point dans le laboratoire de Hilal Lashuel et est largement utilisé pour identifier de nouvelles cibles et tester de nouveaux traitements ciblant l’alpha-synucléine.

«Dans le modèle de formation de corps de Lewy par ensemencement neuronal, la mutation E83Q a non seulement augmenté de façon spectaculaire l’activité d’ensemencement et la formation d’inclusions de type corps de Lewy, mais elle a également abouti à la formation de multiples agrégats aux caractéristiques morphologiques diverses, très similaires à la diversité de la pathologie de l’alpha-synucléine observée dans le cerveau des patients atteints de la maladie de Parkinson», précise Anne-Laure Mahul-Mellier, autre autrice principale de l’étude. «Nous avons été ravis de constater que nous pouvions y parvenir avec notre modèle de corps de Lewy dans une boîte.»

«Nos résultats confirment le rôle central de l’alpha-synucléine dans le développement de la maladie de Parkinson et d’autres synucléinopathies et démontrent que les variations des propriétés structurelles des agrégats d’alpha-synucléine pourraient contribuer à l’hétérogénéité neuropathologique et clinique des synucléinopathies», poursuit Hilal Lashuel. «Cela montre l’importance cruciale d’utiliser des modèles de maladie qui reproduisent autant que possible la diversité de la pathologie humaine et des thérapies capables de cibler la diversité des espèces pathologiques d’alpha-synucléine.»

Dans une prochaine étape, le groupe de Hilal Lashuel validera ces résultats dans des modèles animaux à l’aide de matériel isolé du patient atteint, et cherchera à savoir si cette mutation influence également les fonctions normales de l’alpha-synucléine.

Autres contributeurs

  • Deutsches Zentrum für Neurodegenerative Erkrankungen (DZNE)
  • Université d’Anvers
  • Université de Leeds
  • Institut Max Planck de sciences multidisciplinaires
Financement

EU Horizon 2020

Fondation Michael J. Fox pour la recherche sur la maladie de Parkinson

EPFL

Idorsia Pharmaceuticals Ltd

Références

Senthil T. Kumar, Anne-Laure Mahul-Mellier, Ramanath Narayana Hegde, Gwladys Rivière, Rani Moons, Alain Ibáñez de Opakua, Pedro Magalhães, Iman Rostami, Sonia Donzelli, Frank Sobott, Markus Zweckstetter, Hilal A. Lashuel. A NAC-domain mutation (E83Q) unlocks the pathogenicity of human alpha-synuclein and recapitulates its pathological diversity. Science Advances 29 April 2022. DOI: 10.1126/sciadv.abn0044


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL

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