Un organoïde, pour quoi faire ?

Organoïdes intestinaux cultivés dans des hydrogels synthétiques. © Saba Rezakhani, Lütolf lab /EPFL

Organoïdes intestinaux cultivés dans des hydrogels synthétiques. © Saba Rezakhani, Lütolf lab /EPFL

DOSSIER ORGANOÏDES 2/3 – Leurs sujets d’étude n’ont rien à voir, mais ils utilisent tous des organoïdes. Rencontre avec trois chercheurs qui nous emmènent dans leur univers.

Modeler un intestin

Le professeur Matthias Lütolf de l’Institut interfacultaire de bioingénierie (IBI) de l’EPFL travaille notamment sur des modèles de micro-intestins. Son laboratoire cherche à comprendre comment les cellules-souches prennent des décisions pour former un tissu, et comment ce processus est influencé par les signaux provenant de leur environnement.

En prenant des cellules-souches épithéliales de l’intestin, il est possible de reconstruire une petite structure qui imite la surface des intestins. «On y voit les villosités primitives contenant les cellules différenciées qui absorbent des nutriments comme dans un vrai intestin, et les cryptes contenant les cellules-souches. C’est merveilleux !», annonce Matthias Lütolf.

Mais ces organoïdes d’intestins ressemblent à de petits ballons. Dans mon laboratoire, nous travaillons à les rendre plus réalistes en contrôlant le milieu extérieur des cellules et en incorporant des cellules supplémentaires importantes pour l'organe. Par exemple, des cellules du système immunitaire.» Un travail qui demande une maîtrise de la fabrication de biomateriaux sophistiqués et de microtechnologies, à l'interface entre la biologie et l'ingénierie.

«Nous avons développé des gels qui guident la croissance des cellules dans des formes particulières, notamment en créant des cavités qui restreignent l’espace disponible, ou en ajustant les propriétés physiques et biochimiques du gel, précise-t-il. L’objectif est d’avoir un organoïde plus grand, en forme de tube comme dans les intestins. On pourra alors accéder à son intérieur, pour y insérer par exemple des bactéries intestinales et étudier beaucoup plus de phénomènes physiologiques.»

Le chercheur vient également d’entamer une collaboration avec le professeur George Coukos, directeur du département d’oncologie du CHUV. A partir de biopsies de patients cancéreux du CHUV, ils créent des organoïdes tumoraux qu’ils cherchent à rendre davantage semblables à la réalité en recréant leur microenvironnement, soit les cellules normales qui entourent la tumeur. Ces organoïdes complexes sont ensuite comparés aux tumeurs toujours présentes dans le patient. L’idée est de pouvoir comparer si l’effet d’un médicament anticancéreux est similaire dans les deux cas.

Le travail de Matthias Lütolf a été reconnu par les plus grands scientifiques des sciences de la vie en Europe. Il fait partie des nouveaux membres 2018 de la European Molecular Biology Organization (EMBO).

Trouver le bon médicament

Le professeur Mark Rubin de l’Université de Berne et de l’Inselspital, hôpital universitaire de Berne, utilise des organoïdes de tumeur en application clinique pour modéliser le cancer. C’est un des experts des plus expérimentés et reconnus dans le domaine au niveau suisse.

Le médecin travaille notamment au développement de soins de précision en oncologie. Cette approche du traitement du cancer cherche à identifier des stratégies thérapeutiques efficaces pour chaque patient individuellement. En effet, toutes les tumeurs ne réagissent pas de la même manière aux médicaments et le traitement doit s’adapter à son évolution dans le temps.

«A partir des cellules prises dans la tumeur d’un patient, il est possible de faire grandir toute une collection d’organoïdes sphériques, explique Mark Rubin. Différents médicaments sont ensuite testés sur chacune de ces microtumeurs. Nous avons pu démontrer que cette technique est suffisamment fiable pour prédire quelle sera la réaction d’un patient à un médicament donné et déterminer lequel sera le plus adapté pour la suite du traitement. Une étape importante puisque auparavant on estimait qu’une vérification devait obligatoirement être faite in vivo avec une greffe de la tumeur dans un animal (xénogreffe).»

Etudier le développement embryonnaire

Le professeur Denis Duboule de l'Institut suisse de recherche expérimentale sur le cancer (ISREC-SV) de l’EPFL et de l’Université de Genève s’intéresse au développement des animaux vertébrés. Si ses recherches sur le sujet ont commencé il y a plus de 30 ans, depuis quelques années, il utilise des organoïdes d’embryon précoce de souris.

Pourquoi les humains ont 12 vertèbres thoraciques avec des côtes et pas 11 ou 13 ? Qu’est-ce qui détermine l’emplacement des organes dans notre thorax ? Voici quelques-unes des questions que l’on se pose en embryologie. «Pour étudier l’activité des gènes qui contrôlent ce schéma de construction, nous utilisons des organoïdes de cellules-souches embryonnaires de souris, déclare Denis Duboule. Plus précisément des gastruloïdes, qui correspondent à un stade de développement précoce de l’embryon avant une réorganisation massive des cellules (gastrulation).»

Ces gastruloïdes ne sont pas des embryons, mais des structures qui, dans certaines conditions de culture, s’organisent un peu comme les embryons. Les cellules vont croître, mais pas dans la bonne direction, ce qui ne déclenchera jamais les étapes de développement suivantes, notamment la formation des organes tels que le foie ou les reins.

Les gastruloïdes ne suffisent donc pas pour l’étude du développement embryonnaire. Selon le chercheur, «c’est un moyen alternatif qui convient seulement pour certaines questions précises. Il ne remplacera pas l’étude de réels embryons. Et les résultats obtenus devront de toute façon être vérifiés sur des embryons.»

Quelques avantages tout de même : « grâce aux gastruloïdes, il est possible de voir l’activité génétique de nos propres yeux, en direct ! Il suffit de mettre une protéine fluorescente dans le gène étudié, continue-t-il. C’est aussi un gain de temps considérable par rapport au travail avec des souris. Ce qui nous prenait un an est maintenant possible en à peine deux mois. Sans compter la diminution des besoins d’expérimentation animale bien sûr.»

Crédits photos: Alban Kakulya, John Abbott et Alain Herzog