Des récepteurs synthétiques pour un contrôle précis des cellules

Membrane cellulaire avec récepteurs. EPFL / iStock

Membrane cellulaire avec récepteurs. EPFL / iStock

Des scientifiques de l’EPFL ont développé une nouvelle technique pour produire des biocapteurs répondant de façon sensible à certaines biomolécules, ce qui favorise la migration et le ciblage des cellules dans le traitement du cancer. Cela pourrait permettre un contrôle plus précis des processus cellulaires dans une large gamme d’applications thérapeutiques.

Les biocapteurs sont des complexes moléculaires artificiels conçus pour détecter la présence de substances chimiques ou même de biomolécules cibles. Ils ont donc acquis une grande importance dans le diagnostic et la biologie des cellules synthétiques. Les méthodes habituelles de production de biocapteurs s’appuient toutefois principalement sur l’optimisation des interactions entre les surfaces de liaison statique, et les biocapteurs actuels ne peuvent reconnaître que les molécules structurellement bien définies, ce qui peut être trop rigide pour la pratique biologique «en conditions réelles».

«Nous avons créé une approche de calcul innovante pour la conception d’une liaison à ligands protéines-peptides et nous l’avons appliquée pour produire des récepteurs chimiotactiques de surface cellulaire qui ont reprogrammé la migration cellulaire», explique Patrick Barth, professeur à l’EPFL. «Nous pensons que nos travaux pourraient fortement influencer la conception d’applications de liaison protéique et d’ingénierie cellulaire.»

Les nouveaux biocapteurs mis au point par l’équipe de Patrick Barth peuvent détecter des composés flexibles et déclencher des réponses cellulaires complexes, laissant entrevoir de nouvelles possibilités d’applications pour les biocapteurs. Les chercheurs ont créé un «cadre computationnel», c’est-à-dire un système basé sur l’informatique, pour concevoir des complexes protéiques capables de changer de forme et de fonction de manière dynamique, par opposition aux approches statiques traditionnelles. Ce cadre permet d’analyser des séquences protéiques qui ne l’avaient encore jamais été, et par conséquent, de découvrir de nouveaux moyens d’activer les groupes de protéines, et même des moyens différents de leur fonction naturelle.

Les biocapteurs traditionnels reposent sur la méthode de la clé et de la serrure, avec une capacité de détection limitée et une signalisation en aval limitée (arcs gris). Les nouveaux biocapteurs élaborés par l’équipe de Patrick Barth à l’EPFL peuvent détecter des ligands flexibles (en bleu), avec une transmission des signaux via de nouvelles connexions, qui intensifie l’activité de signalisation en aval (arcs noirs). Crédit: Robert E. Jefferson (EPFL).
Les biocapteurs traditionnels reposent sur la méthode de la clé et de la serrure, avec une capacité de détection limitée et une signalisation en aval limitée (arcs gris). Les nouveaux biocapteurs élaborés par l’équipe de Patrick Barth à l’EPFL peuvent détecter des ligands flexibles (en bleu), avec une transmission des signaux via de nouvelles connexions, qui intensifie l’activité de signalisation en aval (arcs noirs). Crédit:2023 EPFL / Robert E. Jefferson - CC-BY-SA 4.0

À l’aide de leur nouvelle méthode, les scientifiques ont créé des récepteurs synthétiques à même de détecter une multitude de signaux moléculaires naturels ou artificiels et d’y réagir. Ces récepteurs assurent donc une détection optimale des ligands flexibles et de fortes réponses de signalisation allostérique, un terme désignant les changements dans l’activité protéique lorsqu’une molécule se lie à un site différent sur une protéine et provoque ainsi un changement dans la forme et l’activité de cette protéine au niveau de cet autre site.

En pratique, les récepteurs conçus interagissent avec les ligands flexibles par le biais de déclencheurs allostériques, à l’instar de récepteurs naturels, mais ils réorganisent et améliorent la transmission des signaux, un peu comme si l’on composait le même numéro sur un téléphone portable différent, qui a une meilleure connexion. Plus précisément, les déclencheurs semblent acheminer les signaux à travers les mêmes «plateformes relais» que les récepteurs naturels, mais ils améliorent sensiblement la transmission des signaux grâce à une réorganisation optimale des associations dynamiques.

D’après les recherches, la combinaison d’une couche de détection flexible et d’une couche de transmission de signaux solide pourrait être une propriété commune aux récepteurs couplés aux protéines G (RCPG), une famille de récepteurs d’une importance fondamentale dans les cellules, reliés à la quasi-totalité des aspects essentiels de leur vie et de leur fonction.

«Avec notre modèle de biocapteur, nous sommes parvenus à induire une migration cellulaire dans des lymphocytes, qui migrent plus efficacement en direction de chimiokines lorsque nos biocapteurs y sont installés», commente Rob Jefferson, le principal auteur de l’étude. «Les chimiokines servent de balises chimiques pour le recrutement de cellules immunitaires dans l’organisme, un processus qui ne fonctionne pas bien face à certaines maladies, mais pourrait être amélioré grâce à nos biocapteurs.»

Le nouveau procédé de conception de récepteurs synthétiques pourrait être utile dans une large gamme de contextes thérapeutiques. Des lymphocytes cytotoxiques artificiels ayant une chimiotaxie accrue en direction de sites tumoraux pourraient par exemple jouer un rôle dans le traitement du cancer. La conception de récepteurs capables de détecter des signaux spécifiques et d’y répondre offre un nouvel outil prometteur dans le domaine de la biologie cellulaire synthétique, qui aboutira à un contrôle plus précis des processus cellulaires pour toute une série d’applications thérapeutiques.

Financement

Horizon 2020

Bourse doctorale EPFLglobaLeader

Fonds national suisse de la recherche scientifique

Recherche suisse contre le cancer

Institut Ludwig pour la recherche sur le cancer

Fondation pour la lutte contre le cancer

Fondation Leenaards

Helmut Horten Stiftung

Fondation Emma Muschamp

Fondation ISREC

UNIL CHUV

Références

Jefferson RE, Oggier A, Fuglistaler A, Camviel N, Hijazi M, Rico Villarreal A, Arber C, Barth P. Computational design of dynamic receptor:peptide signaling complexes applied to chemotaxis. Nature Communications 14, 2875. 19 May 2023. DOI: 10.1038/s41467-023-38491-9


Auteur: Nik Papageorgiou

Source: EPFL

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