Concevoir et redéfinir des récepteurs cellulaires

Dessin illustrant une manipulation informatique de la transmission de signal de longue portée dans des récepteurs cellulaires. Crédit: Daniel Keri, EPFL

Dessin illustrant une manipulation informatique de la transmission de signal de longue portée dans des récepteurs cellulaires. Crédit: Daniel Keri, EPFL

Des scientifiques de l’EPFL ont élaboré une méthode informatique pour modéliser et concevoir des liaisons allostériques sur des protéines qui permettent de fabriquer de manière précise et rationnelle des récepteurs cellulaires, et même de les redéfinir. Cette méthode peut jouer un rôle important pour le développement de médicaments.

Surnommée «le second secret de la vie», l’allostérie compte parmi les processus biologiques les plus fondamentaux. Elle a été une préoccupation centrale pour des scientifiques de tous les domaines des sciences de la vie, de la biologie fondamentale au développement de médicaments.

Mais qu’est-ce que l’allostérie? Il s’agit d’un processus qui s’inscrit dans l’incessante régulation à l’intérieur de la cellule et par lequel des protéines ou d’autres molécules biologiques peuvent réguler indirectement l’activité d’autres biomolécules telles que des récepteurs.

Le point clé, c’est que ce mécanisme est indirect. Normalement, les protéines et autres ligands se lient à leur molécule cible, p. ex. un récepteur ou un enzyme, sur une zone principale appelée «site actif». Une fois lié, le ligand amorce une chaîne de réaction biochimique qui donne lieu à un effet spécifique.

Toutefois, dans le cas de l’allostérie, les ligands se fixent aux enzymes ou aux récepteurs sur d’autres sites que le site actif, causant des effets différents. Par exemple, les liaisons allostériques peuvent réduire, voire stopper complètement l’activité d’un récepteur. Cela présente un avantage pour des domaines tels que le développement de médicaments: les ligands allostériques ne sont pas en compétition pour se fixer au site actif, mais peuvent produire leurs effets via une «porte dérobée».

Le laboratoire de Patrick Barth de l’Institut de bioingénierie de l’EPFL a mis au point une méthode informatique pour prévoir et même concevoir des fonctions allostériques dans des protéines. Dans un article paru dans Nature Chemical Biology, les chercheurs montrent que leur méthode peut être utilisée pour concevoir des fonctions de signalisation dans des récepteurs de la grande famille des récepteurs couplés aux protéines G (RCPG).

Les scientifiques ont commencé par travailler avec la dynamique moléculaire, une technique de simulation numérique qui permet de modéliser les mouvements physiques d’atomes et de molécules. Après avoir représenté les RCPG à l’aide de cette technique, ils ont pu identifier des sites allostériques sur le récepteur de la dopamine, un RCPG du système nerveux activé par la dopamine. Ce neurotransmetteur intervient dans des fonctions comme le contrôle moteur, la motivation, l’excitation, le renforcement, la récompense, la lactation, la satisfaction sexuelle et les nausées.

Les chercheurs ont ensuite appliqué une nouvelle méthode mise au point au sein du laboratoire et capable de faire évoluer rapidement in silico des séquences de protéines pour obtenir des propriétés dynamiques et allostériques spécifiques. Ainsi, ils ont pu concevoir des variantes allostériques d’un RCPG: des récepteurs présentant de petites différences quant à l’endroit de leur structure où des ligands peuvent se fixer par allostérie.

Ces emplacements, appelés «microswitch», peuvent modifier le comportement tout entier du récepteur. «Nous sommes parvenus à créer de nouveaux microswitch aminoacides sur ces sites, ce qui permet de redéfinir les propriétés de signalisation allostériques spécifiques», explique Patrick Barth.

Les scientifiques ont produit pas moins de 36 variantes du récepteur de dopamine D2, qui régule la flexibilité cognitive chez l’être humain et constitue la principale cible de la plupart des médicaments antipsychotiques. Dans un cas, ils sont parvenus à redéfinir totalement le récepteur D2 en un biocapteur de sérotonine, le rendant ainsi sensible à un tout nouveau neurotransmetteur.

Une fois la sérotonine liée, le récepteur remodelé a montré de fortes réponses de signalisation qui correspondaient aux prédictions auxquelles les chercheurs étaient arrivés avec leur méthode informatique. Cette exactitude ne s’est pas limitée à cette seule variante: les scientifiques ont pu prévoir les effets de plus d’une centaine de mutations connues sur les activités de signalisation de plusieurs RCPG.

Enfin, il est important de souligner que cette nouvelle méthode offre aux chimistes et aux bioingénieurs ce qu’ils appellent une «conception rationnelle»: une stratégie qui utilise la modélisation informatique pour prédire quelle sera l’influence du changement de structure et de dynamique de la molécule sur son comportement.

«Jusqu’à présent, le remodelage de protéines s’est principalement concentré sur la conception de structures protéiques stables et d’interactions sans dynamique, explique Patrick Barth. Notre travail témoigne de l’évolution et de la validation de la première approche informatique qui permette de prévoir et de concevoir rationnellement des fonctions dynamiques allostériques sur des protéines. Cela prépare le terrain pour concevoir des récepteurs de signalisation présentant des fonctions précises dans le cadre d’approches d’ingénierie cellulaire, pour prévoir les effets de variations génétiques sur des fonctions protéiques en médecine personnalisée, et pour concevoir de nouvelles protéines allostériques et de meilleurs médicaments à partir de zéro.»

Autres contributeurs

  • Baylor College of Medicine
Financement

EPFL, Institut Ludwig pour la recherche sur le cancer, National Institutes of Health

Références

Chen K-Y, Keri D, Barth P. Computational design of G Protein-Coupled Receptor allosteric signal transductions. Nature Chemical Biology 02 December 2019. DOI: 10.1038/s41589-019-0407-2