Comment rendre les quartiers de villas plus durables d'ici 2050?

Le village d'Assens, prise de vue en novembre 2018. © EPFL / LAST / Olivier Wavre

Le village d'Assens, prise de vue en novembre 2018. © EPFL / LAST / Olivier Wavre

Pour atteindre les objectifs de la société à 2000 watts, les quartiers résidentiels périurbains – qui en consomment 6,5 fois plus – devront s’adapter. Une thèse de l’EPFL, qui vient de recevoir une distinction académique, explore des pistes transposables à l’échelle suisse en se basant sur des cas vaudois. 

«La loi sur l’aménagement du territoire dit qu’il faut privilégier la densification du bâti, en particulier dans les régions déjà bien desservies par les transports publics», rappelle en préambule Judith Drouilles, docteure en architecture et membre du Laboratoire d’architecture et de technologies durables (LAST) de l’EPFL. «Cette recherche nous permet de montrer que les quartiers de villas périurbains, bien que n’étant pas prioritaires dans le développement territorial, ont eux aussi un fort potentiel d’amélioration en termes de durabilité.»

Afin de trouver des solutions acceptables par les propriétaires de maisons individuelles, Judith Drouilles a mené des entretiens avec certains acteurs locaux et distribué des questionnaires aux habitants de quartiers résidentiels de l’agglomération lausannoise, situés à Chavornay, Assens, Echichens, Savigny et Jorat-Mézières: «Acquérir une villa en Suisse est souvent la concrétisation d’un projet de vie ou d’un rêve, c’est pourquoi il était important d’intégrer les aspirations de ce type de propriétaires, dans une volonté de prendre en compte leurs diverses visions», précise la chercheuse.

Plusieurs solutions

A l’issue de cette phase initiale et de la formulation de plusieurs scénarios possibles, la chercheuse indique qu’il faudra une multitude de solutions et de sensibilisations pour rendre ces quartiers plus durables, à l’exemple du co-voiturage et de l’autopartage, de la mise en place de jardins communautaires et de la mutualisation de certains services. La construction de logements plus petits pour les retraités, qui n’auront ainsi plus le poids d’un terrain à entretenir, leur permettrait de conserver leur réseau social tout en assurant une occupation plus dense dans les villas, grâce à l’installation de nouvelles familles.

Un autre point à anticiper est la probable future hausse des prix des carburants non renouvelables, qui risque d’impacter fortement ces populations, dépendantes de la voiture dans leurs transports, et dotées de systèmes énergétiques vétustes, en particulier lors de leur passage à la retraite.

Penser les quartiers en systèmes

Rendre plus durables ces quartiers implique donc de ne plus les envisager à l’échelle de la parcelle individuelle, mais comme un système interdépendant à l’échelle du quartier et en interaction avec le territoire communal. Autre réflexion: il ne s’agit pas forcément d’amener davantage d’habitants dans ces régions ces prochaines années, ce qui engendrerait comme effet rebond une croissance de la mobilité individuelle: «Sous l’angle de la durabilité, il serait erroné d’imposer une densification forte et uniforme partout», prévient la chercheuse.

Dans sa thèse, Judith Drouilles a eu recours au BIM, Building Information Modeling, un outil de visualisation 3D numérique collaboratif permettant d’inclure de nombreux paramètres à l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier. Le BIM lui a permis de voir comment appliquer différents scénarios d’évolution dans ses cas d’étude en effectuant une simulation sur 35 ans.

Trop lente rotation

Résultat? Le nerf de la guerre reste la lenteur de rotation des habitants des maisons individuelles, qui tend à retarder l’acheminement vers une situation plus durable: «En Suisse, une maison individuelle sur deux est actuellement occupée par un couple de retraités qui n’a pas les fonds ou la force de se lancer dans une rénovation vers un système énergétique plus durable. Ainsi, en l’état, ces quartiers atteindront d’ici 2030 un pic d’émissions annuelles dépassant de plus de 5 tonnes de CO2 par habitant les valeurs-cibles de la société à 2000 Watts», explique la chercheuse. Pour éviter ce scénario, Judith Drouilles, qui étudie le sujet depuis une dizaine d’années, invite les municipalités à davantage sensibiliser à ces enjeux et à initier elles-mêmes des processus d’évolution à l’échelle des quartiers.

Selon les chiffres de l’Office Fédéral de la Statistique (OFS) en 2015, 10% de la population suisse réside actuellement dans une commune résidentielle périurbaine, où plus de 80% des bâtiments résidentiels sont des maisons individuelles. La mobilité moyenne quotidienne y est essentiellement automobile et supérieure à 40 kilomètres par habitant. Les impacts environnementaux induits par ce mode de vie sont près de 6,5 fois supérieurs aux cibles intermédiaires que la Suisse s’est fixées dans le cadre du concept de la «société à 2000 watts» à l’horizon 2050. A l’heure de l’urgence climatique, l’évolution de ces territoires constitue donc un enjeu significatif et un défi considérable.

Méthode inédite

Cette thèse de doctorat a été réalisée dans le cadre du projet de recherche LIVING PERIPHERIES, mené par le LAST avec le soutien du Fonds national de la recherche scientifique (FNS). «Cette recherche doctorale présente l’originalité de proposer une diversité de scénarios prospectifs à l’horizon 2050. Cela permet d’explorer de manière dynamique les processus propres au renouvellement périurbain et d’en estimer, grâce à une méthodologie inédite et rigoureuse, les potentialités et les limites dans une perspective de transition vers la durabilité », souligne Emmanuel Rey, directeur du LAST, qui a dirigé la thèse.