La quantité de lumière du jour influence notre perception thermique

Giorgia Chinazzo a utilisé des filtres pour varier l’intensité lumineuse de la pièce. © M.Gerber/EPFL

Giorgia Chinazzo a utilisé des filtres pour varier l’intensité lumineuse de la pièce. © M.Gerber/EPFL

Une étude pionnière de l’EPFL montre que la quantité de lumière naturelle dans une pièce a un impact sur notre confort thermique et notre tolérance envers la chaleur et le froid. Ses résultats ouvrent la voie à des adaptations de standards existants et à des économies d’énergie.

Depuis la naissance de la philosophie occidentale, l’homme s’interroge sur l’existence d’une distorsion entre ses perceptions et le monde réel. Au Laboratoire de performances intégrées au design (LIPID) de l’EPFL, des chercheurs en physique du bâtiment apportent un élément de réponse inattendu à cette question. Leur étude pionnière vient de paraître dans la revue Scientific Reports.

La recherche explore pour la première fois l’influence de différentes intensités de lumière du jour sur la perception thermique que nous avons d’un lieu. Jusqu’ici, seules quelques études ont été menées sur le sujet, et uniquement avec un éclairage électrique. Or, les résultats obtenus démontrent qu’il existe un facteur psychologique significatif qui modifie notre perception thermique d’une pièce en fonction de la quantité de lumière du jour présente.

Avant d’arriver à cette conclusion, Giorgia Chinazzo, première auteure de l’étude, a placé 42 hommes et 42 femmes durant trois heures dans un environnement thermiquement contrôlé. Cet espace lui a permis non seulement de varier les niveaux de température de 19, à 23 et 27 degrés, mais aussi la quantité de lumière du jour, en recouvrant les vitres de filtres sombres. La luminosité passait ainsi de basse, à moyenne et à élevée aléatoirement d’un candidat à l’autre. En parallèle, la chercheuse a mesuré en continu la température du corps des volontaires, âgés entre 18 et 25 ans.

Distorsions

Les participants n’ont pas été mis au courant du réel objectif de l’étude pour ne pas en fausser les résultats. La chercheuse leur a fait passer un test de performances cognitives (raisonnement logique, compréhension de texte, etc.), en glissant subrepticement à la fin de l’entretien des questions sur leur perception de la pièce, leurs sensations (ont-ils froid ou chaud?) et leur confort (aiment-ils les conditions thermiques de la pièce? S’y sentent-ils à l’aise?).

Résultats? Les participants ont jugé plus acceptable et thermiquement confortable l’espace à 19 degrés lorsque la pièce était fortement éclairée par la lumière du jour, que lorsqu’elle était peu éclairée; alors même qu’aucune variation de température corporelle n’était enregistrée. A l’inverse, lorsque la pièce était plus chaude, les sujets se sont sentis plus à l’aise avec une luminosité basse qu’élevée. Là non plus, aucune variation de température du corps ne venait corroborer ces perceptions, qui sont donc purement psychologiques.

La chercheuse a ensuite comparé les résultats obtenus à l’EPFL avec un modèle d’évaluation thermique encore en usage. Celui-ci a été développé dans les années 1970 dans un environnement contrôlé comparable, mais avec un éclairage électrique. Par rapport aux résultats prédits par le modèle et calculés avec les paramètres thermiques mesurés lors des expériences, les sujets de l’étude de l’EPFL ont en moyenne évalué leurs sensations thermiques comme moins élevées (ils ont indiqué avoir moins chaud) dans une pièce maintenue à 27 degrés lorsque celle-ci était baignée de lumière du jour.

Economies d’énergie potentielles

Pour les auteurs de l’étude, il est plausible que ces sensations thermiques aient été déterminées uniquement par la présence de lumière du jour dans la pièce, sachant que la différence prédominante entre ces tests et l'expérience contrôlée réalisée dans les années 1970 est le type de lumière. En d’autres termes, les chercheurs émettent l'hypothèse que les gens supporteraient plus la chaleur dans une pièce éclairée par la lumière du jour que dans une pièce éclairée par l’électricité tout simplement parce qu’ils s’attendent à ressentir plus de chaleur.

Les sensations thermiques des volontaires étaient comparables à une perception de la température de 1,7 degré inférieure à la température réelle de la pièce ce qui, pour le domaine, est un écart significatif et peut entraîner une réduction de l'énergie utilisée pour refroidir les bâtiments, surtout lorsque ceux-ci bénéficient de lumière naturelle continue.

«Ces résultats montrent que nous climatisons peut-être trop certains espaces, notamment les bureaux construits dans les bâtiments entièrement vitrés, car la simple présence de lumière du jour rend la chaleur plus tolérable», commente Giorgia Chinazzo. «Si notre hypothèse se confirme, nous pourrions effectuer des économies d’énergie en privilégiant l’éclairage naturel à l’éclairage artificiel lors de la construction et la rénovation d’un bâtiment, tout en améliorant le confort thermique des occupants.»

Davantages d’études souhaitées

Pour la chercheuse, cette étude confirme d’ores et déjà l’importance de considérer l’influence psychologique de l’éclairage naturel autant dans la pratique, à l’exemple des standards actuels de la construction, que dans la recherche. Plus d’études sur les perceptions thermiques devraient être menées pour confirmer et affiner ces résultats, selon l’experte en physique du bâtiment, par exemple pour évaluer l'impact à long terme de différentes intensités de lumière du jour et pour tester les facteurs culturels et saisonniers.

Giorgia Chinazzo a soutenu sa thèse en mars dernier. Son travail s’est penché sur le confort visuel et thermique à l’intérieur d’un bâtiment. L’article paru dans Scientific Reports est basé sur une partie de sa thèse. La chercheuse a aussi exploré l’influence des vitrages de couleur sur notre perception thermique, ainsi que les effets de la température sur la perception de couleurs ou de quantité de lumière du jour. En tout et pour tout, elle a mené des tests sur plus de 500 personnes.

Références

Giorgia Chinazzo, Jan Wienold and Marilyne Andersen, “Daylight affects human thermal perception,” Scientific Reports, 2019. 

Giorgia Chinazzo, Jan Wienold and Marilyne Andersen, “Influence of indoor temperature and daylight illuminance levels on visual perception,” Lighting Research & Technology, 2019.

Giorgia Chinazzo, Jan Wienold and Marilyne Andersen, “Combined effects of daylight transmitted through coloured glazing and indoor temperature on thermal responses and overall comfort,” Building and Environment, 2018.

Giorgia Chinazzo, Jan Wienold and Marilyne Andersen, “Variation in thermal, visual and overall comfort evaluation under coloured glazing at different temperature levels,” Journal of the International Colour Association, 2019.

Autre référence

Kynthia Chamilothori, Giorgia Chinazzo, João Pedrode Matos Rodrigues, Elise Dan-Glauser, Jan Wienold, Marilyne Andersen, "Subjective and physiological responses to façade and sunlight pattern geometry in virtual reality", Building and Environment, 2019.