Vers une renaissance de la Buvette d'Evian
Des chercheurs de l’EPFL ont retracé dans un livre l’histoire de la Buvette d’Evian en vue de sa rénovation. Avec quelques ajustements, ce fleuron de l’architecture moderne pourrait redynamiser toute une région. Son vernissage se tiendra le 6 décembre à l’EPFL.
La Buvette d’Evian a accueilli pendant 40 ans les touristes et malades des reins attirés par une eau mondialement réputée pour ses vertus. Inaugurée en 1957, elle est réalisée dès 1955 par l’architecte français Maurice Novarina, l’ingénieur Serge Ketoff et le constructeur Jean Prouvé, figure incontournable de l’ingénierie du XXe siècle. Cet abri ouvert d’environ 74 mètres sur 14 est considéré aujourd’hui comme un chef-d’œuvre de l’architecture moderne et est classé au patrimoine historique de France.
Oubliée, délaissée et partiellement transformée avec maladresse, la Buvette d’Evian est aujourd’hui désaffectée, hormis le côté Est, qui abrite un fitness. Son propriétaire, l’industriel Danone, et la section Romandie de la Fédération des Architectes Suisses (FAS) ont ainsi mandaté l’EPFL pour en évaluer le potentiel en vue de sa rénovation et de sa mise en valeur.
Une étude approfondie et inédite des archives et du bâtiment a donc été effectuée afin de cibler les interventions architecturales les plus urgentes. Giulia Marino, collaboratrice scientifique et chargée de cours à l’EPFL, s’est acquittée avec entrain de cette tâche aux côtés de Franz Graf, directeur du Laboratoire de techniques et sauvegarde de l’architecture construction moderne (TSAM). Ensemble, ils ont rassemblé leurs travaux en une monographie dont la publication est célébrée ce 6 décembre. «Malgré sa grande renommée, nous ne connaissions que peu de choses sur la Buvette d’Evian. Nous avons donc souhaité combler une lacune à travers cette publication. Depuis qu’il n’est plus une buvette, le bâtiment n’a pas eu de fonction claire et les Evianais ont du mal à s’approprier ce lieu. Il a donc aussi fallu réfléchir à rétablir ce lien», explique Giulia Marino.
Synthèse de plusieurs innovations
Les gens se rendaient à La Buvette d’Evian de mai à octobre après une cure thermale. Pour y boire un verre d’eau et écouter des concerts. L’entrée était payante. Par sa modernité, le bâtiment détonnait dans le paysage, mais aussi par rapport aux équipements antérieurs de la station thermale, témoins de la Belle Époque. Plusieurs éléments relevés par les chercheurs de l’EPFL expliquent en quoi la Buvette est aujourd’hui une icône. Premièrement, elle effectue la synthèse de plusieurs innovations et expérimentations architecturales et techniques de Jean Prouvé, dont l’entreprise était en crise et qui devait donc se chercher une nouvelle stratégie. Le bâtiment introduit par exemple le principe des «béquilles», une structure porteuse asymétrique aussi efficace sur le plan de la statique qu’élégante du point de vue formel. Ces porteurs en acier et en forme d’étoile deviendront ensuite un élément-clé des constructions de Jean Prouvé.
La Buvette présente également un mélange de matériaux peu courant pour l’époque – du bois reconstitué, du bois massif, de l’acier, de l’aluminium et du verre – et un type d’assemblage de ces matériaux très novateur. Sa toiture, un système complexe d’éléments en bois et de métal, est elle aussi une invention testée pour la première fois sur un bâtiment. Ce système visait à conserver l’idée de légèreté, essentielle à un couvert, tout en restant étanche. La volonté initiale des architectes d’annihiler le passage entre l’intérieur et l’extérieur est également rappelée par l’étude de l’EPFL. Des travaux de rénovations antérieurs ont passé outre ce concept et mériteraient d’être corrigés.
En excellent état
«Nous avons retrouvé des échanges de courriers entre le bureau de contrôle des autorités françaises et Jean Prouvé pendant la construction du bâtiment. A l’époque, personne ne pensait qu’une telle structure pourrait tenir debout. Pourtant, la Buvette est toujours là! Après un premier bilan visuel, nous pouvons même dire que la Buvette est en excellent état», souligne Giulia Marino, qui précise que des investigations plus poussées et basées sur leur premier diagnostic sont en cours, coordonnées par le laboratoire TSAM. Grâce à leurs recherches minutieuses, les chercheurs égrainent leur ouvrage de multiples anecdotes historiques qui permettent non seulement de comprendre la valeur du bâtiment, mais aussi les hauts et les bas du tourisme thermal dans la région au fil du XXe siècle.
Les pistes pour revitaliser la Buvette sont nombreuses selon les chercheurs de l’EPFL. Ces derniers écartent d’emblée la fausse-bonne idée de galerie d’art – qui demanderait des transformations lourdes – et celle de toute installation pérenne exigeant de fermer et chauffer cet espace qui n’a pas été conçu à cette fin. Pour eux, il est important de respecter la fonction initiale de la Buvette, soit celle d’un abri ouvert vers le parc et le paysage du lac Léman. Pas de restaurant, donc, ni de fitness, mais plutôt des interventions variées et ponctuelles au fil des saisons.
Enfin, les chercheurs préconisent de réintroduire l’élément «eau» d’une manière ou d’une autre dans le bâtiment qui comportait à l’origine une majestueuse fontaine destinée à servir la célèbre eau d’Evian. De manière plus générale, les chercheurs indiquent que la renommée de cette œuvre emblématique suffit, en soi, pour attirer un vaste public et qu’un tel bâtiment de prestige devrait idéalement s’inscrire dans un cadre de prestige équivalent. Les abords de la buvette pourraient ainsi être rénovés dans ce but.
A noter que la monographie publiée aux éditions infolio sera inaugurée en France en janvier 2019, en présence des familles de Jean Prouvé et Maurice Novarina qui ont soutenu le projet, et avec l’apport des spécialistes de l’œuvre de Jean Prouvé qui en conservent aujourd’hui les archives.
- Vernissage le 6 décembre, Project Room Archizoom, bâtiment SG, 18h30, EPFL. Exposition de tirages de Claudio Merlini, auteur d’un portrait photographique de la Buvette d’Evian.
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