Une carte pour prédire la présence des tiques en Suisse

La Suisse est classée comme zone à risque en matière de tiques. © IStock

La Suisse est classée comme zone à risque en matière de tiques. © IStock

Une large étude de l’EPFL et du CHUV a permis de cartographier pour la première fois la répartition des tiques en Suisse et la présence dans leur organisme de bactéries chlamydiales, encore peu connues mais potentiellement transmissibles à l’homme par cet acarien parasite. Les chercheurs ont découvert que la surface des zones favorables à leur développement a augmenté de 10% en dix ans.

Une promenade dans les innombrables sentiers suisses est souvent l’occasion de rapporter de belles photos, parfois quelques crampes mais aussi, bien involontairement, des tiques. Ce petit acarien présent dans les sous-bois denses et les lisières de forêt, particulièrement actif quand il fait chaud, se fixe sur un hôte (humain ou animal), qui passe à proximité. Malgré sa petite taille, il peut transmettre des maladies potentiellement graves, comme la borréliose et l’encéphalite à tiques. Selon des recherches récentes du laboratoire de microbiologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), elles sont aussi souvent porteuses d’une grande quantité de chlamydiales, une bactérie encore peu connue, avec un risque de transmission et de maladie secondaire chez l’homme.

Les scientifiques savent que la présence et l’activité des tiques est influencée par de nombreux facteurs environnementaux, dont la température et l’humidité. Mais les données manquent sur leur répartition spatiale au fil des années en Suisse, classée comme zone à risque en matière de tiques. Estelle Rochat a consacré sa thèse au Laboratoire des systèmes d’information géographique de l’EPFL (LASIG) pour combler ce manque, et pour identifier les zones où les tiques sont porteuses de chlamydiales. Son travail de cartographie exhaustif est publié dans la prestigieuse revue Applied and Environmental Microbiology.

Trois sources de données

Estelle Rochat a identifié les facteurs environnementaux favorisant la présence de la tique à mouton (Ixodes ricinus), la plus répandue en Suisse, pour générer des cartes de leur répartition entre 2008 et 2018. 

A sa disposition, trois bases de données : une campagne de terrain de l’armée suisse de 2009, pendant laquelle plus de 60 000 tiques ont été prélevées et analysées ; les milliers d’interactions d’utilisateurs d’une application pour smartphone leur proposant d’indiquer l’emplacement où ils en ont observé, et enfin une collecte de tiques menée par la chercheuse sur le terrain en 2018. Elle a ensuite utilisé une méthode de Machine learning (une forme d’intelligence artificielle) capable de prédire la probabilité de présence des tiques et des bactéries en fonction des valeurs prises par une série de variables environnementales (précipitations, température, humidité, etc.) autour des points de collecte.

Carte de répartition de la tique Ixodes ricinus en Suisse en juin 2009 et juin 2018. On constate une augmentation de 10%, notamment dans le Nord-Est, dans le Jura et dans la vallée du Rhône. © LASIG

Grâce à ce programme, elle a pu faire des estimations sur l’habitat des acariens. On voit ainsi que l’espace favorable à leur développement est passé de 16% du territoire suisse en 2009 à 25% en 2018.

Statistiquement, le modèle fonctionne. Avec des règles de probabilité, on peut savoir si un emplacement donné est un lieu favorable aux tiques, ou s’il est peu probable d’en trouver. Avec ce modèle de répartition, on a pu estimer la répartition des bactéries à l’intérieur de ces emplacements. Cela nous permet d’avoir des sous-secteurs où seulement certaines zones favorables aux tiques les sont aussi pour les chlamydiales.

Estelle Rochat

« Projet phare »

L’originalité, l’ampleur et le caractère inédit de cette cartographie enthousiasme grandement Gilbert Greub, spécialiste mondial des chlamydiales et des tiques, directeur de l’Institut de microbiologie du CHUV.

« C’est un projet phare, suffisant au niveau suisse pour tirer des conclusions. On voit très clairement qu’entre 2008 et 2018, il y a eu une augmentation des zones à risque d’exposition aux tiques, ce qui est pour moi le reflet du réchauffement climatique. Ça montre que les tiques sont remontées de 300 à 400 mètres dans les étages alpins. » Pour lui, l’étude constitue un très bon outil de prévention et de sensibilisation de la population. Il sera aussi utile à son laboratoire, qui continue les études cliniques sur l’influence des chlamydiales sur l’homme lorsqu’elles sont transmises par les tiques.

Le modèle développé au LASIG par Estelle Rochat est désormais en Open Access et pourra servir à de futures recherches sur d’autres pathogènes portés par les tiques. « L’imbrication de niches écologiques est très intéressante. On l’a fait ici sur les chlamydiales parce que nous travaillions avec le spécialiste mondial Gilbert Greub, mais ce sont des projets qui peuvent aussi être déployés sur l’encéphalite à tique ou la maladie de Lyme. Les algorithmes nécessaires pour faire les calculs sur les variables environnementales sont à disposition et vont pouvoir être appliqués à d’autres jeux de données », se réjouit Stéphane Joost, qui a supervisé la thèse au LASIG.

Il imagine ainsi notamment la possibilité, pour l’Office fédéral de la santé publique, d’affiner ses cartes de risque pour les tiques, qui seront, avec le réchauffement climatique, de plus en plus présentes sur le territoire helvétique.

Plus de tiques ? Pas de panique !
Pour Gilbert Greub, directeur de l’Institut de microbiologie du CHUV, le fait que l’on trouve plus de tiques dans certaines zones augmente le risque de s’exposer à certaines maladies. Depuis trois ans, le nombre de consultations pour piqûre de tique, borréliose ou encéphalite à tique est en augmentation. Il rappelle les mesures recommandées par l’Office fédéral de la santé publique. « Nous avons de beaux étés, les gens apprécient les sorties en vélo ou la marche à pied. La première chose à faire est de se faire vacciner contre le virus de l’encéphalite à tique. La deuxième est d’éviter de se promener dans les zones à risque, hors des sentiers battus, ou alors de porter un pantalon, à mettre dans les chaussettes. Il faut aussi s’examiner le soir en rentrant de balade, y compris dans le dos et les endroits cachés, pas besoin de paniquer et de s’examiner toutes les demi-heures. Si une tique est présente, on peut utiliser une pince à tique. »

Références

Nested species distribution models of Chlamydiales in tick host Ixodes ricinus in Switzerland. Estelle Rochat (EPFL), Séverine Vuilleumier (La Source School of Nursing), Sebastien Aeby (CHUV), Gilbert Greub (CHUV), Stéphane Joost (EPFL)

Corresponding authors : Estelle Rochat ([email protected]), Stéphane Joost ([email protected])