Un logiciel pour préserver les espèces les plus menacées

Des moutons paissant près du Mont Atlas, au nord du Maroc. © iStock

Des moutons paissant près du Mont Atlas, au nord du Maroc. © iStock

En réunissant des bases de données génétiques et environnementales, des chercheurs de l’EPFL visent à aider les biologistes à identifier les espèces animales et végétales les plus exposées au changement climatique. Leur logiciel doit permettre de développer des politiques de conservation adaptées. 

Au nord du Maroc vit une race de mouton munie d’un gène spécifique développé au cours de milliers d’années d’évolution. Ce gène actionne la sécrétion d’une cire au bout de ses poils qui le protège des précipitations importantes du Haut-Atlas, son lieu de vie. En empêchant la laine du mouton de pourrir, ce gène le protège contre des maladies de la peau potentiellement mortelles. 

A l’EPFL, des chercheurs du Laboratoire de Systèmes d’Information Géographique (LASIG) ont développé un logiciel destiné aux biologistes de l’évolution. Cet outil leur permet de gagner des semaines de travail en leur fournissant simultanément un accès direct à des bases de données bio-informatiques d'annotation automatique de génomes et à des bases de données climatiques. Ces dernières contiennent par exemple des informations sur les précipitations, le vent, l’ensoleillement ou la couverture nuageuse d’une région donnée. Baptisé R.Sambada, le logiciel évalue la relation entre information génétique et environnementale et génère des graphiques et des cartes géographiques qui permettent de visualiser rapidement ces données. La présentation de ce logiciel fait l’objet d’une publication dans la revue Molecular Ecology Resources.

Du gène à la carte géographique
En générant une carte du Maroc basée sur le marqueur génétique protégeant le mouton marocain de la pluie, les biologistes verront par exemple qu’un certain variant de ce gène n’est présent que sur les individus vivant dans les régions montagneuses de l’Atlas. Au sud, dans le désert, les moutons en sont dépourvus. Un scénario climatique pour 2070 admettant une hausse de +3.7 degrés (basé sur Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC)) montre que les précipitations vont diminuer dans cette région et que beaucoup d’individus auront donc très probablement besoin d’un autre variant génétique pour s'adapter à la sécheresse à venir.

«Le logiciel permet d’identifier les gènes impliqués dans le processus d’adaptation d’une espèce aux conditions climatiques dans lesquelles elle a évolué», explique Stéphane Joost, auteur correspondant de l’article et directeur de thèse de Solange Duruz, première auteure. «Avec ce logiciel, nous avons voulu mettre à disposition des biologistes de l’évolution et de la conservation un accès unique et simplifié à toute la chaîne de traitement et d’analyse des informations génétiques et géo-environnementales utilisées habituellement dans le but d’évaluer la situation des espèces, en particulier de celles dont la survie est menacée par les changements climatiques.» 

Prendre les bonnes décisions
Qu’adviendra-t-il des moutons marocains face au changement climatique? Notamment si les pluies se raréfient autour d’eux? Face au réchauffement et à la chute de la biodiversité, les biologistes de l’évolution poursuivent parallèlement deux objectifs: cryoconserver l’ADN des espèces en voie d’extinction et identifier les environnements les plus favorables à la survie d’une espèce dans un scénario climatique donné. Dans ce contexte, le logiciel développé par l’EPFL doit leur permettre de prendre les bonnes décisions en mettant en évidence l’aptitude de variants génétiques dans certaines régions éco-climatiques.

Comparer les résultats
R.Sambada est la dernière version d’un outil développé depuis plus de 10 ans à l’EPFL. Il fait partie d’un ensemble de cinq logiciels du même genre, plus ou moins sophistiqués et disponibles dans le monde. R.Sambada est à ce jour le plus rapide d’entre eux. «Nous encourageons les chercheurs à comparer les résultats obtenus avec les autres outils afin de consolider leurs analyses et leurs pratiques», souligne Stéphane Joost.
A travers une thèse en cours, l’EPFL compte encore développer son logiciel, notamment pour générer des zones de conservation d’ici à 2100 en fonction de différents scénarios climatiques, soit un réchauffement allant de 1,5 à 4 degrés. «Une fois cette fonctionnalité intégrée au logiciel, nous pourrons repérer plus précisément les zones à risque et les zones de refuge», précise Stéphane Joost. Une transposition de ces outils pour les zones marines, notamment pour la préservation des coraux, et l’amélioration de la résolution des cartes sont également prévus à l’avenir.

La situation actuelle des moutons au Maroc sur une carte générée par le logiciel R.Sambada. Dans la zone délimitée par un trait rouge, 90% des moutons possèdent le variant CC d'un gène impliqué dans la production de cire qui protège la laine des animaux de la pluie (points noirs).

© LASIG / EPFL

La situation climatique de la même région en admettant un réchauffement de 3,7 degrés. En 2070, les précipitations vont diminuer et les individus situés dans la zone de couleur saumon auront probablement besoin du variant TT (points blancs) pour s'adapter à la sécheresse à venir.