Trois ans pour battre le record du monde de vitesse à la voile
Sous le nom de SP80, une équipe d’alumnis, d’étudiantes et étudiants de l’EPFL travaille sur un bateau novateur qui pourrait atteindre quelque 150km/h.
C’est un objectif qui vogue en continu dans leur tête. Benoît Gaudiot, Mayeul van den Broek et Xavier Lepercq se sont donnés comme échéance 2022 pour battre le record du monde de vitesse à la voile. Un record détenu depuis 2012 par Vestas Sailrocket 2 avec à la barre l’Australien Paul Larsen qui avait atteint sur 500 mètres une vitesse moyenne de 65,45 nœuds (121,1km/h). Les trois accros à la voile visent 80 nœuds (148km/h), d’où SP80, le nom du projet sur lequel ils travaillent déjà depuis près d’une année. «Quitte à battre le record, autant viser haut», sourit Benoît Gaudiot, étudiant en 3e année de Bachelor en mécanique.
Benoît, Mayeul et Xavier se sont connus à l’EPFL dans le cadre de l’Hydrocontest. Français tous les trois, ils ont rejoint l’Ecole car des projets comme Alinghi et l’Hydroptère les ont fait rêver. Lors de leur première rencontre ils ont discuté kite, voile, vitesse, glisse et se sont rapidement rendus compte qu’ils partageaient les mêmes idées. De leur complémentarité est ensuite né le projet SP80.
Collaborateur scientifique au laboratoire de mise en œuvre de composites à haute performance (LPAC), le Breton Mayeul van den Broek navigue depuis l’enfance et possède une riche expérience de la voile. Il a notamment effectué cet été la traversée du Pacifique comme skipper du Nomade des mers. Originaire de Toulon, Benoît Gaudiot est un pro de la vitesse en kitesurf. Il a notamment terminé 3e au Mondial du vent 2015 à l’âge de 17 ans. Quant au Lyonnais Xavier Lepercq, c’est le «savant fou» de l’équipe comme le décrivent affectueusement ses collègues. Ingénieur en recherche et développement chez NTPT - fabricant de matériaux composites qui a notamment œuvré au succès d’Alinghi et de Solar Impulse 2- il a décidé il y a environ sept ans de s’acheter un bateau qu’il a appris à dompter en autodidacte, comme le kitesurf.
Dépasser la cavitation
Fort de cette diversité d’expertise, le trio à l’origine de SP80 a imaginé un kiteboat pour battre le record de vitesse. Soit un bateau en fibres de carbone de sept mètres de long, six mètres de large et 150kg, doté d’ailerons triangulaires superventilents et tracté à l’aide d’une aile de kite. «Nous nous sommes basés sur la technologie de foil utilisée par Vestas qui permet de dépasser le phénomène de cavitation. Comme il y a peu de littérature scientifique à disposition, nous avons bricolé des planches de kite et testé l'année dernière différentes formes d’ailerons», explique Mayeul van den Broek. «Lors du dernier test, j’ai pu atteindre 41 nœuds (environ 76km/h), remarque Benoît Gaudiot, pilote tout désigné du kiteboat. Et nous avons constaté avec surprise qu’avec la vitesse les profils devenaient plus stables.»
Confortés dans leur approche, les trois fondateurs de SP80 s’attellent désormais à peaufiner la technologie retenue et le design du bateau sur un simulateur de navigation développé par Xavier Lepercq. «Battre un record c’est une course d’endurance, pas un sprint», souligne Benoît Gaudiot. Depuis l’automne 2019, les trois fondateurs sont secondés par seize personnes, alumnis et étudiants de l’EPFL. «L'équipe est incroyable: tous apportent leur pierre à l'édifice, note Robin Amacher ingénieur au LPAC et coordinateur du projet SP80. Petit à petit la team s'est étoffée, et les gens impliqués sont très complémentaires avec des compétences variées allant des composites à haute performance à l'hydrodynamique en passant par l'électronique embarquée.»
Cet été, SP80 a reçu le soutien de l’EPFL via l’initiative MAKE mise en place par la Vice présidence pour l’éducation. Les projets soutenus par MAKE bénéficient non seulement d’un soutien financier mais surtout d’espaces comprenant des équipements de pointe, comme le SKIL, de l’appui et de l’encadrement de professionnels. «Le noyau dur de SP80 c'est bien sûr la design team et l'association d'étudiants, mais il ne faut pas oublier les laboratoires qui apportent leur expertise, le réseau MAKE - dont les ateliers professionnels -, et les entreprises partenaires: tout ce petit monde tire à la même corde et donne un cadre exceptionnel pour la réalisation d'un tel projet», souligne Robin Amacher qui avait travaillé sur l’Hydroptère.
Le soutien de l’EPFL permet également aux étudiants engagés dans SP80 de réaliser un projet de semestre ou de Master crédité en lien avec ce défi. Passionnée de voile, Aurore Kerr, community manager de l’équipe est une des quatre étudiantes de SP80 à avoir choisi cette option. Elle réalise son projet de Master sur les ailerons superventilents au laboratoire de machines hydrauliques (LMH). «Cela nous permet de bénéficier du tunnel de cavitation pour tester différents profils d’ailerons. Car il y a eu plusieurs tests de cette technologie durant la Guerre Froide, mais plus on avance dans le temps plus on trouve uniquement des simulations numériques.»
L’équipe se réjouit aussi d’être reconnue dans le milieu de la voile. «On est crédible et grâce à ce projet nous avons déjà pu discuter avec des équipes de très haut niveau, de celles qui nous font rêver», sourit Mayeul van den Broek. Visant un budgetd'environ 1,6 million de francs, SP80 a déjà réuni les fonds pour élaborer en 2020 un prototype qu’elle testera sur le Léman en 2021, avant d’aller chercher le record en 2022. Les membres de SP80 ne sont d'ailleurs pas les seuls sur le coup, une équipe française poursuit le même objectif. Détail cocasse, le frère de Benoît Gaudiot qui a effectué son Master au LMH, travaille sur le projet concurrent. «On connaît l’équipe adverse et le fait qu’on soit deux sur ce challenge nous motive», sourient les fondateurs de SP80. Les bons navigateurs savent parer à toutes les situations.