Repenser l'équilibre entre ville et fleuve à l'échelle du quartier

Vue aérienne du Rhône à Genève. 2023 EPFL/  LAST - N. Sedlatchek - CC-BY-SA 4.0

Vue aérienne du Rhône à Genève. 2023 EPFL/ LAST - N. Sedlatchek - CC-BY-SA 4.0

Des architectes de l’EPFL proposent une nouvelle approche multicritère d’aide à la décision pour mieux concevoir le réaménagement futur des friches urbaines le long du Rhône, comme à Genève et à Sion.

Les rives du Rhône abritent des hectares de secteurs urbains en attente d’un nouvel avenir. Ces terrains au fort potentiel de régénération font l’objet d’une recherche menée par le Laboratoire d’architecture et technologies durables (LAST) au sein de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC). L’objectif : développer un outil d’analyse qui peut aider les décideurs et professionnels à identifier les enjeux urbanistiques de ces lieux si singuliers. Baptisé Rhodanie urbaine, ce projet est mené par trois architectes, Emmanuel Rey, professeur à la tête du LAST, Martine Laprise et Sara Formery, qui en a fait l’objet de sa thèse de doctorat. Leurs derniers résultats ont été publiés dans la revue City and Environment Interactions.

L'équipe de recherche: Martine Laprise, Emmanuel Rey et Sara Formery. 2023 EPFL/LAST - A. Herzog - CC-BY-SA 4.0


Mais pourquoi les bords du Rhône en particulier ? «Nous y avons identifié plus de 1400 quartiers en transition», détaille Emmanuel Rey. «Ils couvrent l’équivalent de quatre fois la surface de la ville de Genève. Cela représente un potentiel significatif en matière de régénération de territoires déjà bâtis». Aujourd’hui, le fleuve est au cœur de nouveaux enjeux. D’un côté, la gestion des crues liée au réchauffement climatique devient une préoccupation toujours plus centrale. De l’autre, la demande de logements de qualité et d’espaces urbains adaptés aux besoins des citadins est manifeste dans les régions concernées.


Ère de réconciliation
Les relations entre villes et fleuves entrent dans une nouvelle ère qualifiée de «réconciliation» par les scientifiques. Pendant l’Antiquité, les gens vivaient proches des rives, considérées comme un lieu de ressources avec un accès direct pour se déplacer. Au Moyen-Age, les populations s’en sont souvent éloignées, privilégiant des fortifications en hauteur. En pleine industrialisation, le fleuve est devenu utilitaire : on a bâti des infrastructures et des espaces de production sur ses rives. Jusqu’au jour où les industries ont été délocalisées pour laisser la place à ces terrains sous-utilisés ou abandonnés.


Les architectes ont identifié quatre secteurs stratégiques. Deux en Suisse, à Sion et à Genève, et deux autres en France, à Givors et à Avignon. Côté Suisse, le site de Sion est situé entre la gare et l’autoroute dans un périmètre ayant fait récemment l’objet d’un concours pour le développement d’un nouveau quartier. Celui de Genève se trouve dans le quartier de la Jonction. Il abrite une ancienne usine reconvertie en lieu culturel ainsi qu’un dépôt des transports publics genevois.


«L’originalité de notre démarche est de nous intéresser aux questions d’urbanité à l’échelle des quartiers fluviaux et non à l’échelle du grand territoire comme cela se fait généralement», précise Emmanuel Rey. «C’est une occasion unique d’ouvrir le champ des possibles et de pousser la réflexion au-delà des pratiques actuelles. On y arrive notamment en tissant des liens entre recherche et enseignement.» Pendant quatre ans, une trentaine d’étudiantes et étudiants en deuxième année de Bachelor d’architecture a imaginé des projets détaillés sur les quatre sites sélectionnés. «Nous les avons ensuite retravaillés au cours de workshops estivaux, afin d’en extraire trois visions prospectives par site. Adaptées à chaque lieu étudié, elles proposent des morphologies qui reflètent des positionnements architecturaux délibérément différents».

Photo de maquette de la première vision prospective imaginée pour le site de la Jonction à Genève.© EPFL / LAST / O. Wavre
Photo de maquette de la deuxième vision prospective imaginée pour le site de la Jonction à Genève.© EPFL / LAST / O. Wavre
Photo de maquette de la troisième vision prospective imaginée pour le site de la Jonction à Genève.© EPFL / LAST / O. Wavre


Grille de lecture à plusieurs dimensions
L’outil d’aide à la décision, conçu pour comparer des propositions distinctes, a été appliqué à ces trois visions. Il contient plusieurs indicateurs. «Nous avons d’abord sélectionné des critères de durabilité, en lien notamment avec les modes de vie ou l’écologie», explique Sara Formery. La chercheuse a ensuite mené des entretiens avec des experts et épluché la littérature spécialisée pour définir d’autres critères centrés sur un nouvel équilibre entre le fleuve et la ville. Cela comprend aussi bien la gestion des risques de crues, la transition énergétique ou les dynamiques environnementales.


Cette grille de lecture compte 18 critères au total et permet d’analyser le projet urbanistique à différentes échelles. Si l’on s’intéresse à la question de la transition énergétique sur le site de la Jonction, à titre illustratif, l’outil permet de se demander si la stratégie est cohérente au niveau cantonal. À l’échelle de la ville, cette question touche à la mobilité fluviale, comme l’installation de navettes ou de passerelles. Et enfin, dans le contexte du quartier, on s’interroge sur les moyens d’atteindre la neutralité carbone. Est-ce que l’eau du Rhône pourrait, par exemple, être utilisée pour chauffer ou refroidir les bâtiments du futur quartier ?


«On développe ainsi une vision plus fine des opportunités liées au fleuve et de ses interactions avec la ville dans un ancrage local. En ce sens, c’est un plaidoyer contre la ville générique», conclut Emmanuel Rey.


Auteur: Rebecca Mosimann

Source: EPFL

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