Que sont les neurodroits et pourquoi en avons-nous besoin ?
Marcello Ienca, chercheur au Collège des Humanités de l'EPFL, a récemment rédigé un rapport d'expert décrivant des recommandations afin de développer un cadre pour les droits humains de l'esprit, également connus sous le nom de « neurodroits », dans le contexte de l'évolution rapide de la technologie biomédicale.
Marcello Ienca, chercheur en éthique biomédicale, a été chargé par le Conseil de l'Europe (CoE) de rédiger un rapport sur la neurotechnologie et les droits de l'homme en biomédecine, qui servira de base aux futures décisions politiques du CoE. Il a également co-organisé une table ronde, intitulée « Neurotechnologies et Droits de l'Homme : Avons-Nous Besoin de Nouveaux Droits ? » qui se déroula le 9 novembre.
Nous avons posé cinq questions à Marcello Ienca sur cette catégorie émergente de droits de l'homme, et pourquoi elle est si importante, sur la base de son rapport : « Common Human Rights Challenges Raised by Different Applications of Neurotechnologies in the Biomedical Fields ».
1. Que sont les neurodroits ?
Les neurodroits peuvent être définis comme « les principes éthiques, juridiques, sociaux ou naturels de liberté ou de droit liés au domaine cérébral et mental d'une personne ; c'est-à-dire les règles normatives fondamentales pour la protection et la préservation du cerveau et de l'esprit humain ».
2. Quels sont quelques exemples de neurotechnologies qui ont le potentiel d'avoir un impact sur nos droits neurologiques ?
La « neurotechnologie » est un terme générique utilisé pour décrire une grande variété de systèmes technologiques qui surveillent (« read out ») ou modulent (« write in ») l'activité cérébrale.
Les neurotechnologies « read-out » comprennent les technologies de neuroimagerie, qui mesurent l'activité cérébrale depuis l'extérieur du crâne, y compris l'imagerie par résonance magnétique (IRM), l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf), l'électroencéphalographie (EEG) ; ainsi que des technologies de surveillance électrophysiologique intracrânienne, qui mesurent l'activité cérébrale depuis l'intérieur du crâne, telles que l'électroencéphalographie intracrânienne (iEEG).
Les technologies « write-in » comprennent les technologies de neurostimulation, qui consistent à stimuler des régions cérébrales ciblées de manière invasive ou non invasive. Certaines interfaces cerveau-ordinateur, à savoir les systèmes neuro-informatiques qui établissent une voie de connexion directe entre le cerveau et les machines, assurent à la fois des fonctions read-out et write-in.
3. Quels sont quelques exemples de problèmes de droits humains que ces technologies posent ?
L'une des préoccupations est le droit à la vie privée mentale, qui vise à protéger les individus contre l'intrusion de tiers dans leurs données cérébrales, ainsi que contre la collecte non autorisée de ces données.
Un autre est le droit à la liberté cognitive, qui protège le droit des individus de prendre des décisions libres et compétentes concernant leur utilisation de la neurotechnologie (à la fois l'absence de coercition et la liberté d'améliorer sa propre fonction cérébrale).
Le droit à l'intégrité mentale, qui est déjà reconnu par le droit international (par exemple, l'article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE), peut également protéger les personnes contre les manipulations nuisibles de leur activité cérébrale.
Enfin, un droit à la continuité psychologique – qui vise à préserver l'identité personnelle des personnes et la continuité de leur vie mentale de toute altération par des tiers sans consentement – pourrait également être impacté par les neurotechnologies.
4. Quelles sont les lacunes actuelles du droit international en ce qui concerne les droits neurologiques ?
Malgré les progrès rapides des neurotechnologies, il n'existe actuellement aucun cadre de gouvernance obligatoire axé sur le cerveau humain et les informations qui en découlent.
Il se peut que des lois sur la protection des données telles que le Règlement général sur la protection des données (RGPD) soient inapplicables aux droits du cerveau et de l'esprit si les données obtenues à partir des systèmes de neurotechnologie sont anonymisées, malgré le fait que ces types de données soient relativement faciles à ré-identifier après anonymisation.
Des instruments tels que le RGPD échouent également à protéger les données neurotechnologiques, car ils autorisent certaines exemptions aux droits des sujets si les données sont utilisées à des fins de recherche ou de statistiques.
Protéger les sujets en limitant l'utilisation des données cérébrales à un objectif spécifique est également difficile à réaliser, en raison du fait qu'avec les neurotechnologies d'aujourd'hui, les données cérébrales spécifiques à un objectif ne peuvent pas être différenciées des autres signaux enregistrés.
5. En quoi les droits neuronaux diffèrent-ils des autres types de droits humains ?
Les neurodroits ne sont pas différents des droits humains ; les neurodroits sont des droits humains. En effet, on pourrait même dire qu'ils sont le noyau fondamental des droits de l'homme, car ils sont conçus pour protéger le cerveau et l'esprit humain : l'essence même de ce qui fait de nous des humains.
Marcello Ienca est un spécialiste de la bioéthique et de l'éthique technologique, ainsi qu'un expert-conseil auprès du Comité de bioéthique du Conseil de l'Europe et du comité directeur de l'OCDE sur les neurotechnologies, où il coordonne la stratégie de mise en œuvre suisse. Au CDH, Marcello Ienca est chercheur principal du projet multinational « Hybrid Minds » financé par ERA-NET et dirige une petite unité de recherche sur l'interaction entre la bioéthique et l'IA. Il contribue également à l'enseignement de l'éthique à l'EPFL et au renforcement des synergies possibles entre le CDH et d'autres écoles et universités.
Lire un article sur Marcello Ienca et son report sur l'éthique de la recherche utilisant des données piratées (30.09.2021).
Common Human Rights Challenges Raised by Different Applications of Neurotechnologies in the Biomedical Fields. Rapport commandé par le Comité de bioéthique (DH-BIO) du Conseil de l'Europe. Auteur: Marcello Ienca.