Mener des recherches éthiques avec des données piratées ?

Marcello Ienca est un spécialiste de la bioéthique et de l'éthique technologique © Marcello Ienca

Marcello Ienca est un spécialiste de la bioéthique et de l'éthique technologique © Marcello Ienca

Marcello Ienca, chercheur au Collège des Humanités de l'EPFL (CDH), a récemment co-écrit un article sur l'éthique de la recherche scientifique utilisant des données piratées avec Effy Vayena, professeure de bioéthique à l'ETH Zurich.

Ils ont publié une série de recommandations pour les chercheurs et les décideurs politiques dans un article paru dans la revue Nature Machine Intelligence.

Selon un communiqué de presse du journal, Marcello Ienca et Effy Vayena « ont l'intention de stimuler un débat au sein de la communauté scientifique pour clarifier quand – le cas échéant – les données piratées peuvent être utilisées dans la recherche, et dans quelles conditions ».

Les données piratées – que les auteurs définissent comme celles « obtenues de manière non autorisée via un accès illicite à un ordinateur ou à un réseau informatique » – peuvent être une source précieuse de données accessibles au public (et donc légalement utilisables) pour l'apprentissage automatique, par exemple. Cependant, cela crée également un dilemme éthique.

« L'intégrité de la recherche n'est pas simplement réductible à la légalité… l'acceptabilité éthique de l'utilisation d'ensembles de données d'origine illicite ne peut pas simplement être présumée, mais nécessite une justification éthique », soutiennent Marcello Ienca et Effy Vayena.

Dans leur article revu par des pairs, les auteurs utilisent des exemples historiques d'inconduite scientifique et les lignes directrices actuelles en matière d'éthique de la recherche pour déterminer la meilleure façon de gérer cette énigme. Ils concluent que par défaut, les recherches utilisant des données piratées devraient être considérées comme contraires à l'éthique, notamment en raison de la violation du consentement éclairé et de la vie privée de ceux dont les données ont été extraites. Cependant, ils soutiennent également que des exceptions peuvent être faites si une évaluation formelle de l'éthique de la recherche conclue que les avantages de l'utilisation de ces données pour la recherche l'emportent sur les risques.

Marcello Ienca et Effy Vayena poursuivent en décrivant les critères permettant de déterminer si de telles exceptions doivent être faites, notamment : évaluer les risques et les avantages de l'utilisation de données piratées à l'avance ; démontrer que les données sont uniques et ne sont donc disponibles par aucune autre source ; conserver une trace de la manière et de l'endroit où les données ont été obtenues ; et préserver le consentement éclairé et la vie privée des personnes concernées dans la mesure du possible.

En plus de protéger les personnes concernées, Marcello Ienca souligne que ces directives visent également à protéger l'intégrité scientifique.

« Alors que les données piratées deviennent de plus en plus disponibles pour la recherche, la communauté scientifique a la responsabilité morale de discuter de la question de savoir si ou dans quelles conditions il est éthique d'utiliser ces données », dit-il. « Sans une réflexion éthique adéquate, il existe un risque que l'utilisation des données piratées peuvent saper la confiance du public dans la science et abaisser les normes d'intégrité scientifique".

L'article de Nature Machine Intelligence peut être lu avec un abonnement, mais un e-PDF gratuit est également consultable en ligne.

À propos de Marcello Ienca

Marcello Ienca est un spécialiste de la bioéthique et de l'éthique technologique, ainsi qu'un expert-conseil auprès du Comité de bioéthique du Conseil de l'Europe et du comité directeur de l'OCDE sur les neurotechnologies, où il coordonne la stratégie de mise en œuvre suisse. Au CDH, Mr. Ienca est chercheur principal du projet multinational « Hybrid Minds » financé par ERA-NET et dirige une petite unité de recherche sur l'interaction entre la bioéthique et l'IA. Il contribue également à l'enseignement de l'éthique à l'EPFL et au renforcement des synergies possibles entre le CDH et d'autres écoles et universités.
Références

Ienca, M., Vayena, E. Ethical requirements for responsible research with hacked data. Nat Mach Intell 3, 744–748 (2021). https://doi.org/10.1038/s42256-021-00389-w


Auteur: Celia Luterbacher

Source: Collège des humanités | CDH

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