Quand les toxines dangereuses informent sur la biologie fondamentale
En étudiant les mécanismes de l’infection à l’anthrax, des scientifiques de l’EPFL ont découvert deux protéines impliquées dans le contrôle des taux de cholestérol dans la membrane de nos cellules.
«Nos travaux montrent comment un complexe au centre de la cellule, la région d’interaction ER-Golgi, contrôle le cholestérol de la membrane plasmique, qui est essentiel à de nombreuses fonctions cellulaires, voire indispensable à la vie multicellulaire», explique la professeure Gisou van der Goot de la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL. Son équipe, qui travaille avec celle de Giovanni D’Angelo à l’EPFL, a publié une étude qui révèle comment les agents pathogènes exploitent un processus cellulaire clé pour intoxiquer les cellules.
Les agents pathogènes ayant évolué en détournant de nombreux processus cellulaires de leurs hôtes, l’étude des interactions hôte-agent pathogène nous permet de mieux comprendre les processus biologiques fondamentaux. Dans cette étude, les scientifiques ont découvert que l’interaction entre deux organites clés de la cellule, le réticulum endoplasmique et l’appareil de Golgi, est essentielle pour savoir quels lipides se trouvent dans la membrane cellulaire. Les deux organites jouent un rôle clé dans la synthèse de nouvelles protéines et leur transport dans la cellule.
Les chercheuses et chercheurs ont étudié quelles protéines sont importantes pour que la toxine de la bactérie de l’anthrax Bacillus anthracis pénètre dans la cellule. Pour ce faire, ils ont passé en revue une bibliothèque de 1 500 gènes qui sont traditionnellement impliqués dans l’organisation des organites de la cellule ainsi que sa membrane.
Infection à l’anthrax et sites de contact ER-Golgi
La toxine de l’anthrax est composée de trois sous-unités: un antigène protecteur qui lui permet de se lier aux récepteurs de la cellule cible, et deux sous-unités enzymatiques, le facteur létal et le facteur œdémateux, qui sont responsables de la détérioration de la cellule.
Lorsqu’il est secrété, l’antigène protecteur se lit à deux récepteurs de la membrane de la cellule. Il est ensuite découpé par la furine, une enzyme, avant de s’associer à d’autres antigènes protecteurs pour former un pore. Ce pore permet aux facteurs létal et œdémateux de pénétrer dans la cellule, où ils provoquent des dégâts. Bien que ce processus soit plutôt bien structuré, on ne sait pas quelles molécules de la cellule facilitent toutes ses étapes.
De l’anthrax à la découverte biologique
Les données des gènes examinés ont permis d’identifier deux gènes et leurs protéines, appelés TMED2 et TMED10, qui sont situés aux sites de contact ER-Golgi, un endroit très inattendu dans l’étude d’une toxine qui provient de l’extérieur de la cellule.
Lorsque les scientifiques ont régulé à la baisse les gènes TMED2 et TMED10, la toxine de l’anthrax a perdu sa capacité à former des pores. De plus, l’analyse approfondie a permis de découvrir un élément nouveau en termes de biologie cellulaire fondamentale: les deux protéines organisent de grands supercomplexes protéiques aux sites de contact entre les membranes ER-Golgi, qui sont responsables du transfert du cholestérol entre les deux organites. Si ce transfert n’a pas lieu, le cholestérol n’atteint jamais la membrane de la cellule, mais est stocké dans des gouttelettes de graisse.
«Globalement, cette étude sur l’intoxication à l’anthrax a permis de découvrir que le remodelage de la composition lipidique aux interfaces ER-Golgi contrôle totalement la formation de nanodomaines membranaires fonctionnels à la surface des cellules», concluent les auteurs de l’étude.
Autres contributeurs
- Institut Friedrich Miescher pour la recherche biomédicale (FMI)
- Université de Bâle
Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS)
Muhammad U. Anwar, Oksana A. Sergeeva, Laurence Abrami, Francisco S. Mesquita, Ilya Lukonin, Triana Amen, Audrey Chuat, Laura Capolupo, Prisca Liberali, Giovanni D’Angelo, F. Gisou van der Goot. ER-Golgi-localized proteins TMED2 and TMED10 control the formation of plasma membrane lipid nanodomains. Developmental Cell 28 September 2022. DOI: 10.1016/j.devcel.2022.09.004