Promesses et limites des organoïdes dans la recherche scientifique

Pipetage d'organoïdes de cerveau au laboratoire de Fides Zenk - 2025 EPFL/Zenk Lab - CC-BY-SA 4.0

Pipetage d'organoïdes de cerveau au laboratoire de Fides Zenk - 2025 EPFL/Zenk Lab - CC-BY-SA 4.0

Depuis près de 15 ans, les organoïdes, ces tissus en trois dimensions cultivés in vitro à partir de cellules souches humaines, démontrent des aspects très prometteurs en recherche biomédicale. Un outil révolutionnaire qui n’est pour autant pas en mesure de remplacer complètement l’utilisation de modèles animaux.

Lorsqu’il assiste, en 2010, à une lecture scientifique du professeur Hans Clevers à l’EPFL, Matthias Lütolf est « époustouflé ». Face à ce grand nom de la génétique moléculaire, pionnier de la recherche sur les organoïdes, le jeune professeur en ingénierie tissulaire découvre la capacité des cellules souches à recréer une partie de l’épithélium intestinal. Serait-il possible que des agglomérats de cellules cultivés en 3 dimensions soient capables de reproduire certaines fonctionnalités basiques de l’intestin humain ? Les opportunités en termes de recherche scientifique semblent alors immenses. Matthias Lütolf a trouvé sa voie, comme un nombre croissant de scientifiques à travers le monde depuis les 15 dernières années.

Pour s’en rendre compte, il faut aller à Bâle, dans l’une des fameuses tours du groupe pharmaceutique Roche, où Matthias Lütolf a posé ses microscopes et ses éprouvettes après 18 prolifiques années à l’EPFL. Dans un dédale de couloirs qui n’ont rien à envier aux labyrinthes de l’université lausannoise, il présente, un par un, les laboratoires de l’Institut de biologie humaine de Roche, qu’il a cofondé en 2022. Pour un œil non averti, difficile de reconnaître ce qui se cache dans ces grands incubateurs : des petits amas informes recroquevillés dans des boites de pétri, dont la taille dépasse difficilement celle du petit pois. Pourtant, les noms sur les étiquettes sont bien connus : cerveau, intestin, foie, rein. Stockés à 37 degrés, la température du corps humain, sur des agitateurs permettant de pallier l’absence du flux sanguin, ce sont des organoïdes.

Organoïdes de cerveau dans une boite de petri. 2025 EPFL / Zenk Lab - CC-BY-SA 4.0

Opportunités

« Il y a au moins deux aspects très prometteurs avec les organoïdes. Le premier, c’est leur capacité unique à modéliser la biologie humaine, car ils peuvent être faits à partir de cellules humaines. Cela donne beaucoup d’opportunités en recherche translationnelle (qui permet de transformer des découvertes scientifiques en traitements médicaux). Le second aspect, c’est la possibilité d’observer directement et de manipuler avec précision, dans une boite de pétri, un tissu qui présente les mêmes caractéristiques que ceux du corps humain. A l’échelle de la biologie, les organoïdes élèvent la pertinence à un niveau supérieur et permettent la modélisation de processus qui ne sont pas possibles avec les études in vitro conventionnelles », explique Matthias Lütolf. Confiant dans le potentiel et soutenu par Roche, son équipe a même lancé une « ferme à organoïdes » qui vise à produire à la chaine, automatiquement, des dizaines de milliers d’organoïdes par lot, réduisant drastiquement les coûts et le long et rébarbatif travail manuel de production.

Les scientifiques, ici et ailleurs dans le monde, travaillent intensément pour introduire les tissus manquants et faire en sorte que l'organoïde d'intestin ressemble davantage à un organe fonctionnel.

Matthias Lütolf

Attention cependant à ne pas tout confondre : les organoïdes ne sont, en aucun cas, des « mini-organes », qui reproduiraient à échelle réduite les fonctionnalités d’un organe humain. Pour le moment, ils ne sont ni vascularisés ni innervés, n’évoluent pas dans un système immunitaire fonctionnel, pourtant capital pour étudier les maladies complexes, et sont dépourvus de nombreux tissus et cellules qui font fonctionner un organe. Surtout, ils ne sont pas reliés entre eux. « Si l'on prend l'exemple de l'intestin, l’organoïde reproduit seulement la couche externe, qui représente la barrière entre l'environnement et le corps. C'est ce que nous cultivons, un tissu épithélial. Mais les scientifiques, ici et ailleurs dans le monde, travaillent intensément pour introduire les tissus manquants et faire en sorte que l'organoïde d'intestin ressemble davantage à un organe fonctionnel. Il y a beaucoup de travail à faire », commente Matthias Lütolf, qui continue d’enseigner à l’EPFL et a conservé deux projets de recherches en collaboration avec des groupes de l’École.

Modèle puissant

Ainsi, suivant la question scientifique, le modèle d’organoïde tel qu’il existe aujourd’hui est généralement suffisant. C’est le cas pour la professeure assistante Fides Zenk, titulaire à l’EPFL de la Chaire NeuroNA en épigénomique des troubles du développement neurologique. « Les organoïdes ont fait leur apparition au moment de mon doctorat et ils semblaient être des modèles très puissants pour étudier le développement précoce du cerveau humain, ce qui était également l'un de mes principaux centres d'intérêt. » Depuis 2023, elle a ouvert un laboratoire au Campus Biotech de Genève, où ses recherches se concentrent sur les organoïdes cérébraux pour comprendre comment les modificateurs épigénétiques influencent les décisions précoces de développement des cellules du cerveau.

Les premières étapes de développement du cerveau dans un embryon humain nous sont complètement cachées. Dans mon domaine, je dispose avec les organoïdes d​​​​​​u modèle optimal

Fides Zenk

Comme plusieurs scientifiques de l’équipe de Matthias Lütolf, le laboratoire de Fides Zenk utilise des cellules souches pluripotentes induites (IPSC) humaines adultes, cultivées et reprogrammées en laboratoire pour pouvoir se différencier en n'importe quelle cellule du corps humain, y compris les neurones. En agrégeant ces cellules dans une matrice, on obtient des organoïdes de parties du cerveau, qui peuvent récapituler les toutes premières étapes du développement. « Ces étapes dans un embryon humain nous sont complètement cachées, nous n'y avons pas accès. Dans mon domaine, je dispose du modèle optimal », confie Fides Zenk.

Futur de la biotechnologie

Sans être une nouvelle méthode alternative miracle qui permettrait de comprendre la biologie humaine et trouver des remèdes dans une boite de pétri sans modèle animal ni considération éthique, les organoïdes s’inscrivent pleinement dans le futur de la biotechnologie. À l’EPFL, nombreux sont les laboratoires qui s’en sont emparés, comme celui du professeur assistant Wouter Karthaus, qui cherche à comprendre la biologie des cancers de la prostate et des glandes mammaires en combinant les cultures d'organoïdes, les modèles de souris et la génomique.

Le Centre de PhénoGénomique, qui gère l’expérimentation animale à l’EPFL, s’est aussi engouffré dans la brèche en ouvrant, en 2024, le Laboratoire SCOL, qui offre un espace de culture partagé accessible à tous les groupes de recherche de l’École pour la culture d’organoïdes et de cellules souches. Et au Centre de recherche sur le cancer de l’Agora, près de l’hôpital universitaire de Lausanne, la Plateforme technologique de bio-ingénierie et d’organoïdes travaille main dans la main avec les groupes de l’EPFL, l’Unil et l’Université de Genève pour démocratiser l’usage de ce modèle. « On s’engage avec les utilisateurs pour leur apporter un soutien scientifique et défricher des domaines qui leurs sont encore étrangers, pour pouvoir abaisser la barrière d’entrée vers l’usage d’organoïdes ou de modèles in vitro complexes », décrit Gaspard Pardon, son responsable.

Nécessité du modèle animal

« On peut questionner la pertinence du modèle, et surtout sa reproductibilité, mais les organoïdes apportent déjà des solutions. Pouvoir passer à la biologie humaine est un gros avantage. Par exemple, un grand nombre de médicaments qui fonctionnent chez l’animal ne fonctionnent pas chez l’humain car la biologie est différente. Pour autant, les organoïdes ne sont pas encore suffisants pour entièrement remplacer les modèles animaux, qui restent nécessaires, notamment pour valider les aspects systémiques », continue Gaspard Pardon.

Organoïde de cerveau de trois mois. 2025 EPFL / Zenk Lab - CC-BY-SA 4.0

Les laboratoires de recherche fondamentale et appliquée sont encore loin de pouvoir se passer du modèle animal comme la souris et le poisson pour étudier des questions biologiques complexes, car ces derniers représentent, malgré leurs limites, la meilleure alternative à l’étude du corps humain. « Je suis réticent à me prononcer sur le calendrier de remplacement de la recherche animale par les organoïdes. Avec eux, nous ne pouvons pas modéliser la biologie des organismes entiers. Il y a des questions auxquelles nous ne pouvons répondre que dans un organisme réel, un animal. Il faudra du temps pour développer des modèles plus réalistes qui, à terme, auront un impact important sur le remplacement », précise Mathias Lütolf.

« Il ne faut pas oublier que la recherche sur les organoïdes repose sur les épaules de géants. Beaucoup de questions et de concepts en biologie du développement que nous connaissons bien et que nous essayons de reproduire avec les organoïdes ont été explorés dans d’autres systèmes tels que la drosophile ou la souris. Ils ne sont pas si facilement remplaçables », complète Fides Zenk. Son laboratoire n’exclut pas la possibilité de complémenter ses recherches, à un moment, avec la souris pour récapituler des phases plus longues du développement neuronal après la naissance.


Auteur: Rémi Carlier

Source: Recherche avec les modèles animaux

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