«Penser savoir quelque chose et l'enseigner est très différent»
Bruno Correia a donné le premier cours de sa vie à l’EPFL, il y a quatre ans. En 2019, il a remporté le prix du meilleur enseignant de la section sciences et technologies du vivant.
Une seule image et la carrière de Bruno Correia a basculé. Le responsable du laboratoire de conception de protéines et d’immuno-ingénierie se rappelle de cet instant comme si c’était hier. Pour comprendre, il faut remonter au début de ses études. Ce fils de deux spécialistes de la finance est alors certain d’une seule chose : jamais il ne veut travailler dans le domaine de son père. «Je voulais aider les gens et devenir médecin, mais je n’étais vraiment pas brillant et mes résultats scolaires ne le permettaient pas, alors j’ai choisi la chimie par défaut.» Durant trois ans, il étudie cette matière sans aucune conviction. Jusqu’au jour où un professeur présente une protéine en 3D. C’est le déclic. «Il y avait un tel niveau de beauté, tout était si parfait, d’ailleurs, la formation de leurs structures reste encore un mystère. Dès ce moment, j’ai su que c’était ce que je voulais étudier et cela me rend toujours aussi heureux. Excepté ma femme et mes filles, c’est tout ce qui m’importe», lance avec humour le professeur assistant tenure track.
Loin d’imaginer une carrière académique dans sa jeunesse, «ce mauvais élève», selon ses dires, transmet désormais sa passion avec brio. Bien qu’il ait donné le premier cours de sa vie à l’EPFL il y a quatre ans, il a reçu en 2019 le prix du meilleur enseignant de la section sciences et technologies du vivant. «Au début, j’étais terrifié, nerveux, il me manquait le savoir-faire pédagogique. Je pouvais lire la frustration sur le visage des étudiantes et étudiants. Un cours, c’est super stressant pour le professeur. Pour m’améliorer, j’ai pris en compte les critiques des étudiants et je me suis inspiré des collègues avec lesquels j’enseigne.» Bruno Correia coenseigne deux cours Bachelor et un cours Master, tous dédiés à la biochimie, avec l’étude des molécules qui engendrent la vie, dont un accent particulier sur les protéines, ou encore la recherche biomédicale.
Des cours intimement liés aux projets de recherche du Docteur en biologie computationnelle et de son laboratoire. Son équipe et lui travaillent en effet sur la création et le test de protéines artificielles, en particulier via des méthodes computationnelles, pour l’immunothérapie, le développement de nouveaux vaccins ou biocapteurs. Dans ce cadre, ils ont récemment développé un algorithme qui permet avec une simple observation de la surface des protéines de prédire leurs interactions et leur activité biochimique.
Progresser ensemble
Bruno Correia essaye d’ailleurs de former les étudiantes et étudiants à adopter une posture de chercheur dès le début de leur cursus. «J’essaye de ne pas être un professeur qui dispense à sens unique ses connaissances aux étudiants. Je préfère aborder un cours comme un échange d’idées, un dialogue où l’on progresse ensemble. Lorsque le flux d’informations se fait aussi des étudiants au professeur et entre les étudiants, le processus d’apprentissage est bien meilleur. C’est ce que m’a enseigné John Mckinney, précédent doyen de la section sciences et technologies du vivant.»
Favoriser l’interaction est primordial pour le professeur qui entrecoupe régulièrement son cours de séances de discussions et de questions, tout en instillant des touches d’humour pour détendre l’atmosphère. «Je demande s’il y a un ou une volontaire pour répondre et si personne ne s’annonce, je prends quelqu’un au hasard, mais cela se fait dans une ambiance très relax. Il est important d’échanger avec les autres, car c’est très différent de penser savoir quelque chose et de l’enseigner. Lorsque vous en parlez, vous prenez tout de suite conscience de ce que vous savez et ignorez.» Le professeur tient à ce que les étudiants visualisent les concepts, se les approprient pour ensuite mieux jongler avec. «Je favorise la compréhension sur la mémorisation, c’est pourquoi je ne propose pas d’examen à choix multiple mais des questions ouvertes avec toute la documentation à disposition.»
Bruno Correia n’est pas devenu médecin, mais aujourd’hui, il reconnaît qu’il a tout de même rempli son objectif, au-delà de ses recherches intimement liées à la médecine. «On a dû me le dire pour que j’en prenne conscience, mais c’est vrai qu’en tant que professeur, nous avons le pouvoir de former les futurs acteurs de notre société, de les doter d’un esprit critique pour qu’ils sachent prendre des décisions éclairées et participer à l’amélioration du monde dans lequel on vit. Finalement, c’est ce qui importe non ? Même si parfois j’ai peur que la ‘bulle académique’ dans laquelle nous sommes biaise notre vision du monde.»
Ainsi, le chercheur ne regrette pas une seule seconde son choix d’une carrière académique. «L’EPFL est un endroit extraordinaire, avec des infrastructures exceptionnelles. J’ai vécu longtemps aux Etats-Unis et si en Suisse la mentalité est moins au ‘go and do it’, lorsque vous désirez vraiment faire quelque chose, vous en avez les moyens si vous en avez la volonté, sans compter la balance entre vie professionnelle et privée qui est bien plus équilibrée.» Ce père de deux filles, âgées de 4 et 7 ans, a enfin l’impression de pouvoir être plus présent pour sa famille. Il présente seulement une pointe d’amertume lorsqu’il évoque l’égalité des genres. «Je me rends compte à quel point le monde est dur pour les femmes et j’essaye vraiment d’être attentif aux questions d’égalité des genres, y compris dans mes cours, puisque beaucoup de problèmes d’égalité commencent dans les salles de classe.»