« Le sport est un formidable laboratoire pour innover et fédérer »

Pascal Vuilliomenet, manager stratégique à l’EPFL. 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Pascal Vuilliomenet, manager stratégique à l’EPFL. 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Pour faire rayonner l’écosystème unique de la région lausannoise, souvent comparée à une Silicon Valley du sport, Pascal Vuilliomenet bâtit des ponts entre les mondes scientifique, sportif, économique et politique.

En 2023, Pascal Vuilliomenet se voyait remettre par la direction de l'EPFL l’Outstanding Commitment Award, un prix récompensant son implication dans le développement et le rayonnement de l’École. Les observateurs saluaient alors un «briseur de silos», mais aussi un homme à l’aise avec «les mains dans le cambouis». «Ça me va plutôt bien», sourit aujourd’hui l’ingénieur de formation, qui se définit aussi volontiers comme un «connecteur».

Manager stratégique à l’EPFL, le Vaudois gère les Discovery Learning Labs (DLL) et l’initiative Sportech, programme qui coordonne un vaste réseau visant à faire du sport un terrain d’innovation technique et sociale. Formé à l’ingénierie à Yverdon, Pascal Vuilliomenet a rejoint l’EPFL il y a plus de vingt ans pour collaborer au Laboratoire des matériaux composites. Il a rapidement été embarqué dans des aventures interdisciplinaires de grande ampleur, comme Alinghi, Solar Impulse ou l’Hydroptère. Pour lui, le sport est un champ de travail idéal, à la croisée de la performance, de l’innovation, des relations humaines, mais aussi des enjeux économiques et politiques. Et l’EPFL y joue un rôle fondamental. «Si aucun laboratoire de l’École n’affiche le mot “sport” dans son nom, près de 50 labos travaillent directement sur des thématiques sportives», rappelle-t-il.

Interview d’un homme enthousiaste et ouvert, qui n’aime rien mieux que partager ses idées.

Pourquoi le sport comme fil conducteur?
Le sport est un terrain d’expérimentation incroyable. On peut penser d’abord aux athlètes de haut niveau: un sportif professionnel prêt à tout pour repousser les limites, afin de gagner ne serait-ce qu’un centième de seconde, sera toujours partant pour tester des technologies de pointe. Cela fait des athlètes des moteurs d’innovation formidables. Mais il ne faut pas réduire le sport à une performance d’élite pour “happy few”. Pour moi, une personne âgée qui parvient à rester autonome chez elle ou une personne en situation de handicap qui arrive à gagner en mobilité réalise aussi des performances. C’est pour ça que Sportech vise à inclure tout le monde, des athlètes aux citoyennes et citoyens lambda. Et puis, les innovations techniques validées dans le sport de haut niveau se diffusent souvent dans d’autres champs…

Un exemple concret?
Les foils (ndlr: ces «ailes» immergées qui permettent aux bateaux de s’élever au-dessus de l’eau). Ils ont été perfectionnés grâce à l’Hydroptère, puis ont connu un essor époustouflant quand ils ont été intégrés aux voiliers de la Coupe de l’America. Aujourd’hui, ils équipent des bateaux de transport de passagers, ce qui permet de réduire la consommation de carburant. C’est la même histoire avec la Formule 1: des innovations testées sur circuit finissent dans les voitures de tous les jours.

Vous aimez dire que dans le domaine du sport, la région lausannoise propose un environnement unique au monde…
Oui, nous avons ici un écosystème incroyablement riche, concentré sur un tout petit territoire. Quand je parle à des entreprises internationales, elles me disent souvent qu’elles ont déjà des contacts ailleurs, au MIT, à Polytechnique en France ou autre… Mais quand on leur explique qu’à Lausanne, elles peuvent collaborer avec un réseau qui va de la médecine au design, des sciences du sport aux matériaux composites, avec des infrastructures de haut niveau comme la Vaudoise Aréna, des fédérations sportives nationales et internationales, le CIO, un tissu de start-ups extrêmement dense, le tout dans un rayon de 40km2, elles réalisent que c’est une offre unique. Ajoutez des réseaux facilitant la mise en relation des acteurs et actrices, comme la Fondation Lausanne Capitale Olympique ou ThinkSport, je pense qu’on peut parler d’un environnement unique au monde. La région lausannoise a vraiment de quoi devenir la Silicon Valley du Sport.

Découvrez la vidéo présentant la région au Salon VivaTech 2024 de Paris.

Comment parvient-on à faire collaborer tous ces acteurs et actrices?
C’est là tout le défi. Travailler en silo est une tendance humaine. Chacun a ses missions et ses contraintes, économiques, politiques... Dans le monde académique, nous avons un peu plus de liberté pour investir du temps et de l’énergie dans ces relations. Les événements sportifs nous aident beaucoup à avancer. Ils créent des échéances qui poussent à la concrétisation les projets. Prenez Athletissima ou les 20 km de Lausanne: ce sont des occasions idéales pour tester et améliorer des projets d’année en année. À plus grande échelle, des projets comme les Jeux olympiques de la jeunesse (JOJ) en 2020 ont été des accélérateurs extraordinaires pour faire travailler ensemble laboratoires, start-ups et institutions publiques.

Pouvez-vous donner des exemples de collaboration particulièrement aboutie?
La relation que nous avons construite avec la Vaudoise Aréna est une belle réussite. Avant même sa construction, nous discutions déjà avec les responsables de la manière dont cette infrastructure pourrait devenir un lieu d’innovation. Ensuite, nous avons par exemple lancé un projet avec le LHC, la start-up Dartfish et Alexandre Alahi, professeur au Laboratoire d’intelligence visuelle pour les transports, pour analyser les déplacements des joueurs sur la glace. Ce programme rassemblait une start-up qui développait un produit, un laboratoire qui apportait son expertise pour l’améliorer, et un club qui offrait un précieux retour d’expérience. C’est très complet. Plus récemment, Bearmind a développé une solution de prévention des commotions cérébrales grâce à des casques intelligents. C’est exactement ce que nous voulons: faire de ces lieux des terrains d’expérimentation où différents acteurs et actrices collaborent.

On sent qu’on évolue dans des modèles de temps long.
Construire un écosystème prend dix ans, pas deux semaines. Dès qu’on sort de son domaine pour aller vers l’interdisciplinarité, il faut inventer des mécanismes pour que chacun y trouve son intérêt. Et il faut trouver des modèles économiques solides, ce qui n’est pas une mince affaire.

Le sport est aussi un levier économique important…
En Suisse, le sport est un marché incroyablement dynamique. D’un côté, on voit émerger des start-ups comme Bearmind, Senbiosys, OptiZone ou Performance Mouthguard. Mais il y a aussi ici beaucoup d’entreprises bien établies : Nidecker, Stöckli, Pomoca, Mammut, On Running… Et nos hautes écoles forment des ingénieures et ingénieurs qui deviennent des chevilles de cet écosystème. Les start-ups intéressent les fédérations sportives internationales installées ici, et cette proximité favorise des projets innovants. C’est un cercle vertueux qu’il faut continuer à nourrir.

Ce cercle vertueux s’étend-il à des enjeux qui concernent toute la société?
Oui. La santé publique, notamment. Aujourd’hui, les maladies non transmissibles – diabète, cancers, etc. – représentent une part énorme des coûts de la santé. Or, on sait que l’activité physique et une bonne nutrition sont des leviers puissants pour les prévenir. Le problème, c’est que beaucoup d’initiatives s’adressent à des gens qui font déjà du sport. Créer un parc de fitness au bord du lac, par exemple, ne permet pas d’atteindre celles et ceux qui n’osent pas franchir la porte d’une salle de sport. Nous travaillons à des solutions plus inclusives. Par exemple, des outils de cartographie interactive développés à l’EPFL par Stéphane Joost permettent de proposer des parcours urbains agréables pour inciter les gens à courir et marcher. Nous sommes aussi en contact avec la Ville de Lausanne, qui réfléchit à comment transformer le site de Beaulieu en un espace alliant sport et santé pour tous les citoyens et citoyennes.

L’éducation fait aussi partie de votre approche?
Oui, et c’est une dimension trop souvent négligée. Au moment du tour du monde de Solar Impulse ou des JOJ, nous avons créé des fiches pédagogiques, en lien avec le plan d’étude romand, qui expliquaient les mathématiques ou la physique à travers le sport et la technologie. Imaginez un enfant à qui l’on explique la théorie des ensembles et qui ne croche pas plus que ça. Si on met ça en lien avec un avion solaire ou un sous-marin, avec les modèles mathématiques qu’il y a derrière, ça devient beaucoup plus concret, plus motivant! À la fin de l’année, les classes étaient invitées à vivre une expérience réelle: assister à une rencontre, parler à des sportifs… Ça donne du sens aux apprentissages et permet de véhiculer des messages importants. On peut aussi faire le lien avec la santé publique: les bonnes pratiques en nutrition peuvent s’expliquer par la chimie, la physiologie… On peut imaginer compléter le matériel et les démarches d’apprentissage pour les rendre encore plus concrètes et plus complètes.

En résumé, tout est en place, il ne reste qu’à relier les points?
Oui, et c’est là que réside le plus grand défi. Notre travail est comme un château de cartes: un édifice qui prend de l’ampleur, mais qui est encore fragile. Si quelqu’un tire la nappe, tout s’écroule. Il faut assembler et consolider l’ensemble. Ici, c’est la force du réseau qui permet l’innovation.


Auteur: Gregory Wicky

Source: EPFL

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