Le coronavirus impacte aussi l'architecture

Valentin Bourdon est en dernière année de doctorat à l'EPFL. © EPFL /V.Bourdon

Valentin Bourdon est en dernière année de doctorat à l'EPFL. © EPFL /V.Bourdon

L’expérience mondiale du confinement met en lumière les carences et les inégalités sociales des logements contemporains. Elle devrait toutefois permettre aux architectes de tirer d’importantes leçons pour l’avenir. Les explications de Valentin Bourdon, qui termine une thèse à l’EPFL sur les aspects collectifs de l’habitation.

De toute expérience extrême et douloureuse émergent des enseignements. La crise provoquée par la pandémie de coronavirus n’échappe pas à la règle. Architecte formé à l’École de Marne-la-Vallée à Paris, Valentin Bourdon termine cette année un doctorat à l’EPFL en architecture. Pour lui, il est évident que sa profession aura beaucoup à apprendre de cette période qui voit plus d’un tiers de l’humanité contrainte de passer l’essentiel de ses journées à domicile. En particulier sur le rôle de l’architecture et de l’urbanisme dans l’organisation des liens sociaux et leur répartition dans l’environnement construit. C’est d’ailleurs l’objectif de sa thèse en théorie de l’architecture: offrir à la profession des outils adaptés pour penser le commun et le vivre ensemble. Des enjeux devenus cruciaux pour répondre à l’évolution des pratiques et faire face aux défis environnementaux. Interview.

Qu’est-ce que la crise actuelle révèle de notre rapport au logement?

Le confinement a pris des millions de personnes par surprise. Il révèle aux yeux de tous l’importance du logement dans la composition des villes, mais aussi, les inégalités qu’il représente. Cette crise permet à chacun de redécouvrir ce qu’il possède et ce qui lui manque lorsqu’il est privé des équipements collectifs offerts par la ville: l’accès à ses parcs, ses cafés, à son offre culturelle et sportive. Tous ces biens communs sont pourtant nécessaires pour contrebalancer les petites surfaces, les vues limitées et la forte densité. Par la proximité, les habitants des villes sont aussi plus directement exposés à la contamination que ceux jouissant d’une maison individuelle ou secondaire plus isolée. D’un point de vue pratique, la restriction de la mobilité révèle aussi que la plupart des logements sont aujourd’hui peu adaptés à la simultanéité des usages, notamment à l’irruption du travail dans la sphère domestique.

Quelles leçons l’architecte pourrait-il tirer de ce moment inédit de l’Histoire?

La pratique massive du télétravail, justement, pourrait inspirer une conception amplifiée du logement. Le quotidien en confinement invite à prolonger ses capacités. Évidemment, cet effort ne dépend pas que de l’architecte, il y a derrières des réalités économiques. Mais l’architecture devrait pouvoir accompagner la progression déjà bien amorcée des pratiques de travail à domicile, du ‘co-working’, de l’économie numérique ou encore de nouvelles formes d’artisanat et de productions locales. Même le développement rapide du commerce en ligne, que l’actualité amplifie, suggère de recentrer l’effort sur l’habitat. C’est le lieu des achats, du travail, de la sociabilité, de l’exercice physique, de l’éducation; mais aussi du sens collectif, puisqu’il n’a jamais été aussi facile de sauver des vies qu’en restant chez soi. Cette indifférenciation totale des registres et leurs réversibilités montrent aussi ses limites, notamment la possible perte de repères. Je crois qu’un tel recouvrement des pratiques et de leurs portées symboliques invite donc les architectes à prendre conscience de la nécessité de soigner certaines distinctions et certaines continuités au sein du logement. Comment augmenter le logement sans le dénaturer? L’enjeu pourrait être celui-ci.

Quels enseignements positifs observez-vous?

Il me semble que la crise ne génère pas de situation nouvelle vis-à-vis du logement. Elle révèle plutôt nos besoins fondamentaux et rend des dynamiques jusqu’ici marginales beaucoup plus effectives: le télétravail, par exemple, existait déjà avant le confinement, les formations et les achats en ligne également. Je ne sais pas si ces évolutions sont réellement positives, mais cette période-témoin représente en tous cas un moment décisif et condensé pour orienter profondément l’avenir du logement. Le confinement rappelle aussi que ce qui fait la ville, ce sont ses lieux collectifs et ses espaces publics, en ces temps regrettés. Leur manque ne fait sûrement que renforcer leur valeur et le soin consenti à leur apporter. Il est aussi saisissant de constater qu’en leur absence, l’implication sociale se reporte sur l’échelle du voisinage. La fenêtre ou le balcon deviennent les interfaces de l’accès à l’autre et de l’expression du collectif, que ce soit pour applaudir le personnel soignant ou prendre des nouvelles de ses voisins. Les initiatives solidaires, comme le fait de faire les courses pour les personnes âgées de son immeuble, y participent aussi. La coopération au plus proche du logement est renforcée.

L’esprit de voisinage méritait-il d'être mieux cultivé?

Nous savons qu’en matière de durabilité, l’échelle de l’immeuble ouvre de grandes perspectives, du partage de certaines ressources, comme la pose collective de panneaux solaires, à la mise en commun de certains espaces, tels que les locaux à vélos, salles de fête ou de sport, buanderies, jardins et terrasses partagés ou, encore, ateliers de bricolage, salles de lecture, chambres d’amis, etc. C’est ce que cherche à mettre en place la nouvelle génération de coopératives particulièrement animée en Suisse. Le confinement révèle donc selon moi à quel point ces aspects liés à la qualité de l’habitat et à l’importance du vivre ensemble méritent aujourd’hui d’être revalorisés, pour que les formes qui accompagneront nos prochains modes de vie continuent de cultiver le lien entre ville et logement qui, comme nous l’expérimentons actuellement, demeure essentiel.

L'échelle du voisinage prend de la valeur durant cette crise. © Valentin Bourdon / EPFL

Références

Valentin Bourdon, «Les formes architecturales du commun» (titre provisoire), thèse en cours de rédaction sous la direction de Luca Ortelli, EPFL, 2020.
Valentin Bourdon et Alessandro Porotto, «De l’Existenzminimum à l’existence commune», Actes de la Journée Bernardo Secchi du 24 Septembre 2019, Fondation Braillard, août 2020 (à paraître).
Valentin Bourdon, "Does the Homogeneous City Belong to the Past?", Urban Planning, 30 September 2019.
Summer School 2020: Valentin Bourdon «Standards of habitability from an architectural perspective», «Unhabitable habitat», 31 août - 4 septembre, Genève, partenariat EPFL & ETH Zurich.