La tête dans les nuages

Mária Lbadaoui-Darvas travaille à comprendre la façon dont les aérosols interagissent avec l’eau lors de la formation de gouttelettes et de cristaux de glace. © 2020 EPFL

Mária Lbadaoui-Darvas travaille à comprendre la façon dont les aérosols interagissent avec l’eau lors de la formation de gouttelettes et de cristaux de glace. © 2020 EPFL

Mária Lbadaoui-Darvas, chercheuse au Laboratoire des Processus Atmosphériques et leurs Impacts de l’EPFL, a obtenu une bourse du Fonds National Suisse pour développer une nouvelle manière d’observer et modéliser la formation des gouttelettes composant les nuages. Cela pourrait notamment permettre d’affiner les prévisions climatiques.

Bien moins compris que le dioxyde de carbone dans la manière dont ils affectent le climat, les aérosols – de fines particules suspendues dans l’air – contribuent néanmoins fondamentalement au changement climatique. Microscopiques, ils couvrent une large gamme de tailles et de compositions, et varient considérablement dans l’espace et le temps. Ils peuvent être d’origine naturelle, à partir de sources comme la poussière du désert, les embruns, les émissions végétales ou les feux de forêts, ou être le résultat d’activités humaines telles que l’agriculture, les transports, ou l’industrie.

Sans aérosols, la Terre serait exempte de nuages. Ils contribuent à leur formation en permettant l’agrégation de molécules d’eau atmosphérique sur leur surface, ce qui favorise l'apparition de gouttelettes de nuages et de cristaux de glace.

Une gouttellette d'eau s'agrège à un aérosol, ici une particule de suie. © LAPI

En modifiant la quantité d’énergie solaire atteignant la surface de la planète et en régulant la quantité de chaleur terrestre qui s’échappe dans l’espace, les aérosols et leur impact sur les gouttelettes de nuages et cristaux de glace sont essentiels pour moduler notre climat. Cependant, malgré des décennies de recherche, les mécanismes exacts responsables de la formation d’eau et de glace sur les particules, qualifiée de nucléation hétérogène par les scientifiques, restent mal connus, ce qui entrave la capacité à représenter correctement leurs effets dans les modèles climatiques.

Au Laboratoire des Processus Atmosphériques et leurs Impacts de l’EPFL, Mária Lbadaoui-Darvas travaille à acquérir une compréhension au niveau moléculaire de la façon dont les aérosols interagissent avec l’eau lors de la formation de gouttelettes et de cristaux de glace.

« C’est très important car cela constitue l’une des principales sources d’incertitude dans les modèles climatiques. Or améliorer nos connaissances de ce phénomène renforcera la crédibilité des prévisions, ce qui revêt une importance capitale aujourd’hui », explique-t-elle.

Ce n’est qu’en acquérant une connaissance pointue des processus physiques clés inhérents aux mécanismes qui génèrent et gèrent notre climat, que les scientifiques pourront faire les prévisions les plus fiables possibles pour l’avenir de la planète.

Phénomènes trop rapides

La nucléation hétérogène de la vapeur d’eau est l’un des aspects les moins connus de tous les processus impliquant des aérosols. Les défis dans ce domaine sont nombreux. La grande variété des aérosols et des composés chimiques qui peuvent condenser des gouttelettes et des cristaux de glace à leur surface rend pratiquement impossible pour les scientifiques de formaliser un seul modèle de nucléation hétérogène. Par ailleurs, il n’est pas possible aujourd’hui d’observer en temps réel des phénomènes de nucléation, car ils se produisent trop rapidement et à une échelle trop petite. La simulation est le seul outil disponible pour enquêter sur ces échelles.

Mária Lbadaoui-Darvas propose de remédier à ces problèmes avec la mise en place d’une nouvelle méthode d’observation et de modélisation de la nucléation, très différente des approches usuelles issues de la Théorie classique de la nucléation (CNT). « La CNT est un bon début et c'est la technique établie pour décrire certains processus de nucléation, mais pas lorsque des aérosols sont impliqués. En effet, la CNT suppose que la vapeur d’eau en suspension se transforme soudainement en gouttelettes, et ne prend pas en compte toutes les étapes intermédiaires impliquant l’interaction de l’eau avec la surface des aérosols. Notre objectif est d’aller au-delà de cette limite, et de remodeler la théorie. » Le travail fait partie d’une collaboration scientifique internationale.

Dynamique moléculaire

Son projet a obtenu un financement Spark du Fonds national suisse, qui soutient le développement de nouvelles idées et méthodes scientifiques « présentant un concept peu conventionnel et une approche originale », à hauteur de 95 000 Francs. Elle dispose d’un an pour démontrer sa faisabilité.

L’approche de Mária Lbadaoui-Darvas consiste à utiliser la dynamique moléculaire, une technique de simulation numérique de pointe permettant de modéliser l'évolution d'un système de particules au cours du temps. Elle pourra créer des vidéos de très haute résolution qui suivent le mouvement de chaque molécule d’eau et qui, combinées à des statistiques, pourrait fournir des données à partir desquelles une description généralisée de la nucléation hétérogène peut émerger.

Cela pourrait alors être inclus dans les modèles climatiques et permettre d’améliorer la visibilité des chercheurs sur l’évolution du climat. « Si nous parvenons à réduire l’incertitude des prévisions climatiques avec ces nouvelles théories, cela aidera à faire comprendre à la population à quel point la situation est grave et en quoi il est nécessaire de prendre urgemment des mesures sérieuses » pour réduire le réchauffement climatique, explique la chercheuse.

Schématisation du projet de dynamique moléculaire mené au LAPI par Mária Lbadaoui-Darvas © LAPI

Financement

Spark vise à financer l’essai ou le développement rapide de nouvelles approches, méthodes, théories, normes ou idées d’applications scientifiques. Conçu pour des projets présentant un concept peu conventionnel et une approche originale, il privilégie les idées prometteuses, audacieuses et basées sur des données préliminaires très limitées, voire inexistantes. La prise de risque est encouragée, mais ne constitue pas une condition en soi. L’accent est mis sur les projets ou idées ayant peu de chances d’être financés par les autres programmes d’encouragement disponibles.

L’évaluation des requêtes se fait en double aveugle (c’est-à-dire que les évaluateurs/trices ignorent l’identité de l’auteur-e de la proposition). Le FNS entend ainsi garantir que l’évaluation reste focalisée sur l’idée en elle-même.



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Schématisation du projet de dynamique moléculaire mené au LAPI par Mária Lbadaoui-Darvas © LAPI
Schématisation du projet de dynamique moléculaire mené au LAPI par Mária Lbadaoui-Darvas © LAPI

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