Covid-19: 239 scientifiques demandent de nouvelles mesures

Les systèmes de ventilation devraient être améliorer dans les bâtiments très fréquentés. © iStock

Les systèmes de ventilation devraient être améliorer dans les bâtiments très fréquentés. © iStock

Le Covid-19 se transmet également par l’air et des mesures de prévention complémentaires devraient être adoptées. C’est ce qu’affirment des scientifiques dans une lettre ouverte invitant l’OMS et les responsables politiques à agir. Parmi les signataires se trouvent Athanasios Nenes et Dusan Licina, chercheurs en environnement à l’EPFL.

Lettre ouverte signée par 239 scientifiques:

Il est temps d’agir contre la transmission du Covid-19 par l’air

Lidia Morawska, Donald K. Milton

Nous appelons la communauté scientifique et les organismes nationaux et internationaux à reconnaître l’importance de la propagation du Covid-19 par voie aérienne. Il existe un important potentiel d’exposition au virus par inhalation de gouttelettes respiratoires microscopiques (microgouttes), à courte et moyenne distances - jusqu’à plusieurs mètres ou à l’échelle d’une pièce. Nous préconisons donc l’usage de mesures préventives afin d’atténuer ce mode de transmission par l’air.

Les études des signataires et d’autres scientifiques ont démontré hors de tout doute raisonnable que les virus sont relâchés durant l’expiration, la prise de parole et la toux par des gouttelettes microscopiques pouvant rester en suspension dans l’air et poser un risque d’exposition au-delà d’un à deux mètres de distance d’une personne infectée. Par exemple, dans des conditions de vitesse de l'air intérieur normale, une gouttelette de 5 microns pourra traverser un espace de 10 mètres, soit beaucoup plus grand que celui d’une pièce de taille moyenne, en restant à une hauteur de 1,5 mètre du sol.

De nombreuses études rétrospectives menées après l’épidémie de SARS-CoV-1 ont prouvé que la transmission par voie aérienne était le mécanisme le plus probable pour expliquer le modèle spatial de l'infection. Des analyses ont montré la même chose pour le SARS-CoV-2. L’une d’elles portant sur un restaurant chinois où trois personnes ont été infectées a montré, enregistrements vidéos à l’appui, qu’aucun contact direct ou indirect n’avait eu lieu entre elles. Plusieurs recherches menées notamment sur la diffusion du virus respiratoire syncytial (RSV), le syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS-CoV) et la grippe montrent que des virus viables transmis par l'air peuvent être exhalés et/ou détectés dans les environnements intérieurs fréquentés par des patients infectés. Il y a donc un risque que les personnes qui partagent ces lieux puissent potentiellement inhaler ces organismes en suspension, qui conduisent à une infection et à une maladie.

Il y a toutes les raisons de croire que le SARS-CoV-2 se comporte de la même manière et que la transmission via des microgouttes dans l’air en est un important vecteur. De l’ARN viral associé à des gouttelettes plus petites que 5 microns a été détecté dans l’air et le virus a prouvé qu’il maintenait son taux d’infection sous la forme de gouttelettes de cette taille. D’autres virus ont montré qu’ils survivaient aussi bien, si ce n’est mieux, dans l’air que sur une surface.

Les directives actuelles de nombreuses instances nationales et internationales se concentrent sur le lavage des mains, le maintien d’une distance sociale et la prévention contre les gouttelettes (ndlt, par le port du masque). La majorité des organisations de santé publique, y compris l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ne reconnaissent pas la transmission par voie aérienne à l’exception des procédures effectuées dans les établissements de soins. Le lavage des mains et la distance sociale sont adéquats, mais, selon nous, insuffisants pour apporter une protection contre les microgouttes respiratoires porteuses de virus relâchées dans l’air par les personnes infectées.

Ce problème est particulièrement aigu dans les environnements intérieurs et fermés, surtout en ce qui concerne ceux qui sont très fréquentés, sur de longues périodes d’exposition, et qui ne possèdent pas un système de ventilation adapté au nombre d’occupants. La transmission par voie aérienne apparaît comme la seule explication plausible pour plusieurs cas de contaminations de grande envergure apparus dans ces circonstances et, pour d’autres, où les précautions relatives à la transmission par gouttelettes étaient appliquées.

Les preuves sont certes incomplètes pour toutes les étapes de transmission par microgouttes. Elles sont cependant tout autant incomplètes pour les gouttes plus importantes et les modes de transmission par surfaces, qui sont à la base des directives actuelles. En suivant le principe de précaution, nous devons considérer toute voie de transmission potentielle pour freiner la diffusion du Covid-19, donc également celle agissant par voie aérienne. Les mesures qui devraient être prises pour atténuer ce risque sont les suivantes:

  • Assurer une ventilation efficace et suffisante (faire entrer un air extérieur propre, minimiser l’air recyclé) en particulier dans les bâtiments publics, les lieux de travail, les écoles, les hôpitaux et les résidences pour personnes âgées.
  • Ajouter aux ventilations génériques des systèmes de contrôles d’infections par voie aérienne, tels que des filtrations d’air de haute performance et des lumières germicides à ultraviolet.
  • Eviter les lieux très fréquentés, en particulier dans les transports et les bâtiments publics.

De telles mesures sont concrètes et peuvent souvent facilement être implémentées; beaucoup d’entre elles sont bon marché. Par exemple, la simple ouverture des portes et fenêtres favorise efficacement la circulation de l’air dans de nombreux bâtiments. En ce qui concerne les systèmes de ventilation mécaniques, des organisations expertes telles que l’ASHRAE aux Etats-Unis et la REHVA en Europe fournissent déjà des directives basées sur ce que nous savons actuellement de la transmission des virus par voie aérienne. Les mesures que nous proposons offrent plus de bienfaits que de potentiels désavantages, même si elles ne sont que partiellement implémentées.

Nous sommes conscients qu’il n’y a pas encore de reconnaissance universelle de la transmission du SARS-CoV2 par voie aérienne; mais selon notre analyse collective, il y a assez de preuves à l’appui pour appliquer le principe de précaution. Afin de contrôler la pandémie, et dans l’attente d’un vaccin, toute possible voie de transmission doit être interrompue.

Nous redoutons qu’un manque de reconnaissance du risque de propagation par voie aérienne du Covid-19 et que l’absence de recommandations contre cette caractéristique du virus ait des conséquences importantes; la population pourrait se sentir pleinement protégée en suivant les mesures actuelles alors qu’en réalité, d’autres interventions sont nécessaires pour éviter toutes les sources d’infection.

Ce sujet est de haute importance, alors que les pays rouvrent progressivement leurs infrastructures après la phase de confinement – les gens revenant sur leur lieu de travail et les étudiants dans les écoles, collèges et universités. Nous espérons que notre prise de position attirera l’attention sur le risque, bien réel, de transmission du Covid-19 par voie aérienne et la nécessité d’ajouter des mesures de précautions et de contrôle, telles que citées plus haut, à celles déjà en vigueur, afin de réduire la sévérité de la pandémie et sauver des vies.

Clause de non-responsabilité: les avis et opinions exprimés dans cet article sont ceux de leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement une politique officielle ni celle d’une organisation ou d’une institution.

(Traduit de l'anglais)

Note

La lettre ouverte a été publiée dans la revue Clinical Infectious Diseases. Elle a été commentée par le New York Times, le Los Angeles Times, CNN et le Washington Post et signalée par plusieurs médias dans le monde.