L'EPFL part explorer la vie microbienne au pied des glaciers

L'expédition démarre officiellement le 1er août 2018. © iStock

L'expédition démarre officiellement le 1er août 2018. © iStock

Des scientifiques de l’EPFL vont parcourir durant au moins quatre ans les ruisseaux des plus importants glaciers du monde. Leur mission: récolter des microorganismes et en extraire l’ADN pour comprendre comment ils s’adaptent à leur environnement extrême. Le projet démarre le 1er août. Il inaugure le Pôle de recherche sur l’environnement alpin et polaire de Sion (Alpole), établi sur le site EPFL Valais Wallis.

En-dehors de l’eau, que perdons-nous d’autre dans la fonte des glaciers? C’est la question à laquelle une expédition scientifique inédite menée par l’EPFL souhaite répondre. Son approche? Explorer l’infiniment petit au pied des glaciers du monde entier. Durant au moins quatre ans, une équipe de scientifiques récoltera le génome de microorganismes présents dans les ruisseaux de centaines de glaciers. En associant les sciences environnementales aux géosciences et aux sciences de la vie, les chercheurs visent à découvrir comment cette vie microbienne s’est adaptée depuis des millénaires aux conditions environnementales extrêmes de ces ruisseaux.

Les scientifiques enrôlés dans l’aventure exploreront le «troisième pôle» à travers les ruisseaux de l’Alaska, de l’Himalaya, des Andes, du Groenland, de la Scandinavie, du Pamir, du Kamchatka, du Caucase, de Nouvelle-Zélande et des Alpes. Le projet, d’envergure internationale, démarre officiellement le 1er août 2018 et inaugure le Pôle de recherche sur l’environnement alpin et polaire (Alpole) de Sion. Il voit le jour grâce au soutien de la fondation suisse NOMIS, qui finance exclusivement des initiatives scientifiques pionnières.

Récolte de biofilms

Les expéditions se concentreront en particulier sur la récolte de «biofilms», un ensemble de microbes qui forme dans les ruisseaux une fine couche visqueuse à la surface des sédiments. Grâce au séquençage de grande ampleur de leur ADN, les chercheurs de l’EPFL ambitionnent de déchiffrer la structure et le fonctionnement du microbiome de ces biofilms récoltés aux quatre coins du monde. Ces données génétiques rempliront deux objectifs. Premièrement, elles permettront aux chercheurs de remonter dans le temps car elles pourraient révéler d’anciens marqueurs génétiques ainsi que les stratégies d’adaptation que les microbes ont développées au fil du temps. Deuxièmement, elles permettront de regarder vers le futur. Leur décryptage aidera en effet les scientifiques à comprendre comment le changement climatique et la disparition des glaciers influencent les biofilms, et, par conséquent, leur rôle dans l’écosystème et la bio-géochimie des ruisseaux alpins.

Défi majeur

«Les glaciers et leurs ruisseaux ont été longtemps abondants sur Terre. A cause du réchauffement climatique, ils sont aujourd’hui en train de disparaître. Selon les glaciologues, 50% des petits glaciers suisses auront disparu d’ici 25 ans. Il en va de même pour les ruisseaux qu’ils alimentent et la vie que ces cours d’eau abritent. Mieux comprendre la vie microbienne de ces écosystèmes en voie d’extinction est donc notre devoir envers les générations futures», explique Tom Battin, directeur du Laboratoire de recherche en biofilms et écosystèmes fluviaux de l’EPFL et directeur scientifique du projet. «Ce défi majeur ne peut être relevé qu’avec un partenaire comme la Fondation NOMIS et à travers une équipe interdisciplinaire constituée d’experts en écologie, bio-géochimie, biologie moléculaire et glaciologie.»

Interdisciplnaire et innovant

«Je me réjouis que l’EPFL joue un rôle très actif pour documenter le cœur des glaciers, à travers l’étude de la vie microbienne des ruisseaux issus de leur fonte. Cela répond à un enjeu global et s’inscrit parfaitement dans la dynamique que nous mettons en place avec le Centre pour l’étude du changement des environnements alpins et polaires, basé sur le site EPFL Valais Wallis», souligne Martin Vetterli, président de l’EPFL. Un enthousiasme partagé par Markus Reinhard, directeur général de la Fondation NOMIS: «Nous sommes ravis de soutenir ce projet de recherche prometteur. Il s’inscrit dans notre vision qui encourage les recherches interdisciplinaires innovantes qui ont le potentiel d’apporter des connaissances transformatrices sur le monde.»

La première expédition démarrera en février 2019. L’équipe sera guidée sur place par le géologue et grand expert de l’Himalaya Mike Styllas, chef d’expédition, et assisté par deux experts de la montagne du Canada et de l’Italie. La génomique se développera en partenariat avec le groupe de recherche du professeur Paul Wilmes, basé à l’Université du Luxembourg. Michael Zemp, chercheur associé à l’Université de Zurich, assistera l’équipe en glaciologie. L’entraînement scientifique des chercheurs démarre cet été dans les Alpes suisses.

Une banque d'ADN mondiale à EPFL Valais Wallis
Avant même de démarrer l’expédition, une autre aventure prend déjà forme dans la tête de Tom Battin. Le chercheur rêve en effet de créer un dépôt sur le site de l’EPFL Valais-Wallis qui centraliserait les données ADN récoltées dans les ruisseaux des glaciers. Ces archives permettraient d’offrir une «cartographie» de notre époque aux chercheurs du futur. Dans un avenir proche, l’approfondissement de nos connaissances en biologie moléculaire, surtout en technologies de séquençage de l’ADN, apportera en effet de nouvelles clés de lecture sur la vie microbienne et ouvrira de nouvelle perspectives de recherches pour la bioprospection en biotechnologie. Cette banque ADN aurait aussi comme vocation d’accueillir les échantillons de toutes les institutions académiques intéressées à l’enrichir. Elle centraliserait ainsi au niveau mondial des données inédites sur les écosystèmes en voie d’extinction issus d’environnements extrêmes.