Décrypter la danse des électrons et des molécules d'eau

©EPFL/iStock photos (Kuruan)

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Dans le cadre d'un projet de l'EPFL, des scientifiques sont parvenus à décoder la danse complexe des électrons dans l’eau. Cette avancée majeure pourrait être le premier pas vers l’amélioration des technologies de conversion de l’énergie.

Berceau de la vie sur Terre, l’eau n’est pas un simple élément passif; elle participe activement au ballet chimique de la vie. Le comportement des électrons est au cœur de cette danse, notamment au cours d’un processus appelé transfert de charge au solvant (CTTS).

Le CTTS est comparable à une danse microscopique où un électron provenant d’un élément dissout dans l’eau, par exemple le sel, s’échappe et rejoint l’eau. De ce processus naît un électron «hydraté», qui est un élément incontournable dans de nombreuses réactions aqueuses comme celles à l’origine de la vie. Le CTTS est donc indispensable pour comprendre le déplacement des électrons dans les solutions.

Dans une récente étude de l’EPFL, les chercheurs Jinggang Lan, Majed Chergui et Alfredo Pasquarello se sont penchés sur les interactions complexes entre les électrons et leur environnement de solvants. Leurs travaux de recherche ont été élaborés et principalement réalisés à l’EPFL, avec des contributions finales de Jinggang Lan dans le cadre d’une bourse postdoctorale au Simons Center for Computational Physical Chemistry de l’Université de New York.

En examinant le processus CTTS, les chercheurs ont visualisé avec soin l’interaction dynamique entre l’électron qui s’échappe et les molécules d’eau polarisantes qui l’entourent, ce qui permet de mieux comprendre ces interactions complexes.

L’équipe a utilisé de l’iodure dissout dans l’eau («iodure aqueux»), car il est ainsi plus facile de se représenter le déplacement des électrons vers l’eau environnante. L’iodure, comme le sel de table, n’a pas de mouvements internes complexes, ce qui simplifie son étude. Les scientifiques ont ainsi pu observer comment l’iodure libère rapidement un électron dans l’eau environnante, un processus influencé par la disposition des molécules d’eau autour de l’iodure.

Afin d’étudier le processus CTTS, les chercheurs ont eu recours à la dynamique moléculaire ab initio. Il s’agit d’une technique sophistiquée qui simule le comportement des molécules sur ordinateur en calculant les interactions et les mouvements atomiques à partir des principes physiques fondamentaux de la mécanique quantique. La locution latine «ab initio» signifie «depuis le début». Cela indique que cette méthode part de principes physiques fondamentaux, permettant aux scientifiques de prédire avec précision l’évolution des molécules et des matériaux au fil du temps sans s’appuyer sur des données empiriques pour les interactions entre les particules.

En combinant l’approche ab initio et les techniques d’apprentissage machine sophistiquées, les scientifiques ont pu visualiser et analyser le processus CTTS avec un niveau de détail sans précédent, en suivant le parcours d’un électron depuis sa fixation à un ion iodure jusqu’à sa solvatation, c’est-à-dire son encerclement et sa stabilisation par des molécules d’eau.

L’étude a révélé que le CTTS implique un ensemble d’états distincts qui sont chacun caractérisés par la distance entre l’électron et le noyau d’iode: de l’association étroite avec l’atome d’iode (état paire de contact) à la séparation dans le solvant (état séparé dans le solvant), et enfin à la solvatation complète en tant qu’électron hydraté.

«L’avancée se situe essentiellement au niveau fondamental, déclare Alfredo Pasquarello. Le mécanisme décrit implique une interaction subtile entre l’excitation électronique et les effets de polarisation ionique, ce qui produit une série de configurations, comme le révèlent nos simulations.»

Dynamique CTTS illustrant la densité des électrons (bleu) et la densité des trous de l’iode aqueux (jaune). Crédit: Jinggang Lan/EPFL
Dynamique CTTS illustrant la densité des électrons (bleu) et la densité des trous de l’iode aqueux (jaune). EPFL/Jinggang Lan - CC-BY-SA 4.0

Mais la mise en lumière du CTTS pourrait également avoir des conséquences sur un vaste ensemble d’applications impliquant des réactions de transfert de charge et d’énergie. Comprendre comment les électrons interagissent avec leur environnement à un niveau aussi fondamental pourrait être déterminant pour développer des systèmes de conversion de l’énergie solaire plus efficaces, améliorer les techniques de photocatalyse, voire faire progresser notre connaissance de la science des matériaux et des processus environnementaux.

«Comprendre le transfert de charge vers le solvant permet de mieux appréhender le comportement de l’énergie et des électrons dans les réactions chimiques, ce qui a une influence sur de nombreuses activités biologiques naturelles et sur la technologie utilisée pour la conversion de l’énergie», affirme Jinggang Lan.

Financement

Swiss National Supercomputing Centre (CSCS)

Bourse post-doctorale de la Fondation Simons

Références

Jinggang Lan, Majed Chergui, Alfredo Pasquarello. Charge Transfer to Solvent Dynamics in Aqueous Iodide. Nature Communications 21 March 2024. DOI: 10.1038/s41467-024-46772-0