Vladyslav Shashkov, athlète des mathématiques

Vladyslav Shashkov, étudiant Master en mathématiques appliquées à l’EPFL. ©Alain Herzog/EPFL

Vladyslav Shashkov, étudiant Master en mathématiques appliquées à l’EPFL. ©Alain Herzog/EPFL

L’étudiant ukrainien en master à l’EPFL ne semble jamais rassasié de mathématiques. Sa situation de réfugié laisse en revanche beaucoup de questions ouvertes sur son avenir.

Vladyslav parle de ses soirées à résoudre des problèmes mathématiques au centre Bernoulli comme d’autres racontent leur fin de journée à boire des bières à Sat. Du partage, de la convivialité, de l’excitation, du plaisir et comme une impression, à la fin, d’avoir un peu refait le monde. Le monde de Vladyslav Shashkov, étudiant Master en mathématiques appliquées à l’EPFL, est aujourd’hui celui de ses études à Lausanne. L’autre a fini de s’écrouler le 24 février 2022, lorsque les troupes russes ont envahi son pays.

Pour l’étudiant, l’entrée des troupes russes en Ukraine, il y a un an et demi, n’est que la suite d’une invasion rampante qui a commencé avec l’annexion de la Crimée en 2014. « Ce conflit n’est pas nouveau, mais ce n’est que maintenant qu’il est reconnu comme tel. » Alors qu’il achève ses trois ans de bachelor, il postule pour le programme Excellence in Engineering de l’EPFL, ouvert aux étudiantes et étudiants du monde entier ayant terminé avec succès au moins leur deuxième année de bachelor. Il propose un stage d’été de 8 à 12 semaines dans un laboratoire de l’EPFL. Ainsi, Vlad quitte son pays en sang en juin 2022. L’EPFL lui fournit aujourd’hui une bourse sociale pour poursuivre ses études de master.

Des escape rooms sous forme d’équations

À l’EPFL, Vladyslav semble avoir retrouvé une famille. Pas seulement parce que la médaille Fields de sa compatriote mathématicienne Maryna Viazovska y brille. Mais parce que l’étudiant de 21 ans est un athlète des mathématiques et qu’il y a tout le loisir de se former, de s’entrainer et de concourir. « Vlad joue avec les symboles mathématiques comme d’autres s’amusent avec des balles de jonglages », résume Emmanuel Abbé, titulaire de la Chaire de mathématiques de la science des données à l’EPFL.

J’ai choisi les probabilités comme branche principale. Il y a beaucoup d’incertitude dans les probabilités, mais elles finissent toujours par converger vers un sens.

Vladyslav Shashkov, étudiant Master en mathématiques appliquées à l’EPFL

Afin de bien comprendre le plaisir que l’on peut avoir dans ce genre d’épreuve, il faut savoir que les amoureux des maths se mesurent à travers des problèmes de difficulté croissante qu’il faut résoudre en un temps donné. « Ces problèmes ne relèvent pas tellement de connaissances au niveau du cursus, souligne le professeur Abbé, mais se présentent comme des énigmes qu’il faut résoudre avec des solutions astucieuses. » En d’autres termes, ce sont des escape rooms sous forme d’équations. Et pour les plus doués, comme le foot a ses championnats, les mathématiques ont leurs olympiades. Vladyslav a commencé à l’entrée dans l’adolescence, en 2013. Il n’a plus arrêté, ajoutant aux mathématiques, la physique, l’astronomie, la linguistique et l’économie.

Pour réussir, rien ne vaut l’entrainement. « Depuis le mois de septembre de l’année dernière, nous nous retrouvons avec un groupe d’étudiants et d’étudiantes pour résoudre des problèmes de maths », raconte Vlad. Aujourd’hui, le groupe est devenu une association, Polympiade, soutenue par le Centre Bernoulli qui les accueille deux fois par semaine dans ses locaux. Non seulement Vlad joue, mais il encadre aussi ses collègues afin de résoudre ensemble les problèmes.

Trois médailles d’or et une de bronze

L’entrainement apporte les compétitions. Face à l’intérêt marqué des étudiantes et étudiants et inspiré des pratiques nord-américaines, pour la première fois cette année, le Centre Bernoulli a organisé une compétition de mathématiques internes, qui permet également de sélectionner les étudiants de la « EPFL Bernoulli Team » qui participe à la Compétition internationale de mathématiques (IMC). Réservée aux universitaires, elle s’est déroulée début août en Bulgarie.

« Tous les soirs, une quinzaine d’étudiants se sont retrouvés au Centre Bernoulli pour s’exercer », raconte Emmanuel Abbé, qui est aussi co-directeur du Centre Bernoulli pour les Études EPFL Fondamentales. Les compétitions apportent le succès. C’est Vladyslav qui a décroché le sésame à l’IMC en Bulgarie. « Finalement, nous étions une équipe de cinq étudiants soutenus par le Centre Bernoulli et nous sommes arrivés 20e sur près de 70 équipes, une place très honorable pour une première participation », se félicite l’étudiant. À titre individuel, il s’est classé 29e ex æquo sur près de 400 participants, ce qui lui a valu une médaille d’or. Au cours des quatre dernières années, Vladyslav en a remporté trois d’or et une de bronze à l’IMC.

Le succès apporte le plaisir. Mais pas forcément celui auquel on pense. « Ces compétitions sont beaucoup plus motivantes que les exercices d’entraînement. Elles développent la créativité, il y a des trucs que l’on ne peut pas connaître d’avance et que l’on développe durant la compétition. Et finalement, c’est le plaisir de trouver la solution », explique-t-il le sourire aux lèvres.

L’intérêt de Vladyslav pour les maths prend racine chez ses parents, tous deux mathématiciens. Mais il y a maths et maths : « Eux ont choisi les maths pures. J’ai fait un bachelor en maths pures, mais les maths appliquées m’intéressent plus. Contrairement aux maths pures qui sont plus théoriques et basées sur des estimations, en maths appliquées, les résultats sont visibles et peuvent être vérifiés. On peut les prouver et les utiliser pour faire des simulations. »

Si sa famille est actuellement en Italie et qu’il ne manque pas une occasion d’aller la visiter, Vladyslav a trouvé à l’EPFL un environnement qui l’engage à rester. Il cite la paix bien sûr, mais aussi le respect entre les gens, le plaisir de faire de nouvelles expériences ou la découverte d’autres cultures pour lui qui n’avait pas quitté l’Ukraine avant l’an dernier. Il envisage après son master de faire un doctorat, motivé par son expérience tant académique qu’humaine à l’EPFL. L’autre raison est que s’il retourne en Ukraine, il ne pourrait plus quitter le pays. « Mais beaucoup de choses peuvent encore changer. » Et de conclure : « J’ai choisi les probabilités comme branche principale. Il y a beaucoup d’incertitude dans les probabilités, mais elles finissent toujours par converger vers un sens. »