«Vivre loin de la Terre est un gigantesque défi»

© NASA

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Susana Zanello est spécialiste de l’adaptation humaine à la vie dans l’espace. Cette scientifique de renom est en séjour académique à l’EPFL. Elle livre ici son point de vue sur la recherche, l’exploration spatiale, les vols habités vers Mars et plus encore…


Les effets d’un long séjour dans l’espace sur le corps humain sont plus variés qu’on l’imagine. Susana Zanello a fait de leur étude sa spécialité. Biologiste de renom, elle travaille pour la Division of Space Life Sciences (DSLS), à Houston, et collabore avec la NASA. Son rôle est d’étudier les mécanismes d’adaptation au milieu spatial, identifier les risques qui y sont liés et développer des mesures pour préserver la santé des astronautes durant leurs missions. Depuis l’été dernier, elle fait un séjour académique au Laboratoire de microsystèmes 4 de l’EPFL.

- Qu’est-ce que ce séjour à l’EPFL a apporté à vos recherches?

Je suis venue pour en apprendre davantage sur la miniaturisation et glaner des idées. La médecine spatiale doit pouvoir mesurer différents paramètres vitaux, tels que le rythme cardiaque, la pression sanguine, la fréquence respiratoire ou la température des astronautes. Pour cela, nous avons donc besoin d’appareils permettant un suivi en temps réel et des analyses en cours de vol. En plus, nous devons comparer les données de chacun, afin d’avoir une idée globale de la santé de l’équipe. Les expériences menées dans l’espace étant soumises à de nombreuses limitations - notamment de poids des objets à emporter - nous sommes à la recherche de micro- et nanotechnologies novatrices pour la fabrication d’appareils plus petits et efficaces.

- Quels sont, pour la santé, les risques les plus importants d’un voyage dans l’espace?

Vivre loin de la Terre est un défi gigantesque. Les êtres vivants ont évolué pour s’adapter à la vie sur cette planète. Dans l’espace, un risque important est la perte de densité osseuse liée à la microgravité. Là-haut, nous ne devons plus lutter contre la gravité, comme nous le faisons naturellement sur Terre. Ce qui signifie que nous n’avons plus besoin de squelette pour nous soutenir! Pour s’adapter, le corps commence alors à perdre la matrice osseuse et à utiliser le calcium de manière différente. Il en résulte un affaiblissement des os et un risque accru de fractures une fois de retour sur Terre, ainsi qu’une plus grande prédisposition aux calculs rénaux.

Les radiations représentent un autre danger. En empêchant aux particules à haute énergie d’atteindre la surface de la planète, le champ magnétique terrestre agit comme une protection très efficace. Mais au-delà des ceintures de Van Allen, ou sur d’autres planètes, nous serons bombardés de protons solaires et de rayons cosmiques. Or, nous savons que ces particules traversent le corps et engendrent une altération de l’ADN. Tous les risques à long terme qui y sont liés, comme le développement de cancers, doivent vraiment être étudiés en profondeur.

- Vos recherches portent également sur la perte d’acuité visuelle…

Dans les années 2000, nous avons commencé à observer une perte de la vision proche chez certains astronautes revenant d’un séjour prolongé sur l’ISS, la Station spatiale internationale. Après investigations, nous avons constaté un aplatissement de leurs globes oculaires, ainsi qu’un épaississement de la partie arrière de l’œil, là où nait le nerf optique. Environ 60% des astronautes expérimentent une telle perte de vision, qui s’avère parfois irréversible. Un problème que la NASA considère comme un risque de haute priorité.

- Quelle est la cause de cette altération visuelle?

Elle provient probablement d’une modification de la répartition des fluides dans le corps. Sur Terre, la gravité les dirige vers les jambes. Ce mouvement, ainsi que les valves présentes dans les veines, permettent ensuite de les rediriger vers le cœur. En situation de microgravité, ce système n’a plus lieu d’être. Il se produit alors un afflux de fluides vers la tête. C’est ce qui explique le visage bouffi et les jambes affinées que présentent typiquement les astronautes. Il en résulte également une hausse de leur pression intracrânienne. Notre hypothèse est que lorsque la pression du liquide cérébro-spinal entourant notre cerveau augmente, elle se transmet au fluide présent à l’arrière de l’œil, générant cette perte visuelle.

- Quelle direction vos recherches prendront-elles à l’avenir?

Si certains signes d’adaptation sont clairement observables, d’autres plus cachés sont également à l’œuvre au niveau moléculaire. Des gènes peuvent par exemple s’exprimer différemment dans un environnement spatial que sur Terre, menant ainsi à des modifications physiologiques spécifiques. Mes recherches actuelles ont pour but de mieux comprendre ces mécanismes. Mais les possibilités de réaliser des expériences dans l’espace sont très limitées. Les astronautes font en général des séjours de six mois sur l’ISS. Deux d’entre eux participent actuellement à des missions d’un an. Or, avec les projets d’expéditions sur Mars, par exemple, nous devons en savoir plus sur les effets de voyages plus longs. Pour cela, des recherches doivent être faites non seulement sur l’ISS, mais également sur Terre, en utilisant des subterfuges pour reproduire les conditions spatiales.

- Justement, quels sont les défis d’un voyage sur Mars?

Pour une telle mission, qui durera au moins trois ans, le premier risque est d’ordre psychologique. Pour le mesurer, nous devons tenir compte de la durée, mais aussi de l’éloignement, du confinement avec un petit nombre de personnes, du stress généré par la lourde charge de travail et les exigences de réussite. Une fois sur Mars, il y a un avantage: vous retrouvez une gravité partielle. Vos os seront immédiatement stimulés, réduisant la perte de densité. Mais les astronautes auront aussi à faire face au risque de radiations. Sans oublier un climat difficile, la présence constante de poussière, la nécessité de trouver de quoi se nourrir convenablement, entre autres.

- Et quid des autres planètes ?

Bien sûr, d’autres destinations sont également envisagées, comme Europe, le satellite de Jupiter, sur lequel de l’eau a été découverte. Mais elle est beaucoup plus éloignée! Et même si Mars semble inhospitalière, c’est, en comparaison à d’autres, une planète plutôt avenante. Sa taille et son orbite sont similaires à celles de la Terre. La durée du jour martien n’est donc pas loin de 24 heures. Des cycles de 10 ou de 35 heures engendreraient encore bien d’autres effets sur le corps humain.

- Ne sommes-nous finalement pas trop adaptés à la vie sur Terre pour vivre ailleurs?

L’expérience montre que nous sommes capables de nous adapter dans une certaine mesure à de nouveaux environnements. Bien sûr, il y a des dangers et il y en aura toujours. Il s'agit de bien les connaître pour pouvoir définir précisément le degré de risques acceptables. Mais la soif d’exploration fait qu’il y aura toujours quelqu’un prêt à foncer et à prendre ces risques, même s'ils sont importants.