Vers une «théorie de la gravitation» en écologie
Des chercheurs de l’EPFL ont ouvert une brèche menant potentiellement à la découverte d’un ensemble de lois générales en sciences environnementales.
Y a-t-il un lien entre la taille d'une espèce et son abondance ou la taille d'un écosystème et sa biodiversité? Les écologistes observent souvent des relations identiques dans différents écosystèmes. Ces «lois d'échelle» (scaling laws) ont été observées dans des milieux marins et terrestres et pour divers types d'organismes (microorganismes, mammifères, arbres) sans qu’un lien entre elles n’ait pu jusqu’ici s’imposer. Cette lacune est sur le point d’être comblée: dans une étude, des chercheurs de l’EPFL affirment en effet qu’il existe des schémas macro-écologiques qui relient ces lois d’échelle a priori indépendantes. Ces schémas pourraient même mener à la découverte d’un ensemble de lois générales en sciences environnementales. L’étude a paru dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
Les chercheurs ont tout d’abord vérifié leur hypothèse sur trois ensembles de données empiriques provenant de forêts tropicales et de communautés de mammifères et de reptiles vivant sur des îles aux climats comparables. A l’aide d’un modèle numérique, ils ont ensuite reproduit ces lois observées sur le terrain et en ont déduit des formules algébriques générales qui semblent les relier toutes: «Nous avons voulu rationaliser les schémas macro-écologiques observés dans différents écosystèmes et les inscrire dans un cadre unifié d’où ils dérivent tous. Trouver, autrement dit, leur origine commune», explique Silvia Zaoli, doctorante au Laboratoire d'écohydrologie (ECHO) de l’EPFL et première auteure de l’étude.
Les lois d'échelle décrivent la manière dont deux quantités sont reliées. Par exemple, la probabilité de trouver un organisme dans un écosystème diminue quand la taille de l'organisme augmente: dans l’océan, il est plus rare de trouver un baleine bleue qu'une bactérie. «Les lois d’échelles se définissent par leur exposant. Elles sont utiles à plusieurs niveaux, par exemple pour prédire combien d'espèces survivront après une réduction de leur habitat ou pour modéliser la distribution des tailles des espèces dans une communauté marine, en lien avec leurs fonctions environnementales. Ceci permet par exemple de comprendre quelle est la taille la plus répandue dans la communauté, mais aussi la plus petite et la plus grande. Le cadre théorique que nous avons découvert permet d’affirmer que, même si la valeur de chaque exposant varie entre des écosystèmes différents, tous les exposants qui décrivent un écosystème sont liés par des relations universelles et valables pour tous les écosystèmes. Ces relations relient, par exemple, l’augmentation du nombre de mammifères, proportionnellement à la taille d’un écosystème, à celle de l’abondance de chaque espèce», détaille Silvia Zaoli.
En parallèle à sa publication, l’étude du laboratoire ECHO a reçu un commentaire encourageant de l’un des deux examinateurs de la revue PNAS, un fait très rare. Dans un court texte, ce dernier donne une perspective historique aux travaux des chercheurs. Pour lui, ceux-ci orientent les sciences de l’environnement vers la découverte d’une théorie physique englobant toutes les lois déjà observées, à l’image du catalogue de la position des étoiles, des planètes et des comètes de Tycho Brahe, ouvrage qui a fourni au 17ème siècle la base empirique des lois du mouvement des planètes de Johannes Kepler, qui ont elles-mêmes ensuite permis à Isaac Newton de formuler la loi de la gravitation universelle. «Nous pouvons en effet dire que nous avons ouvert un chemin dans cette direction, mais nous savons que nous avons encore beaucoup de travail devant nous!», conclut Silvia Zaoli.
Référence
Cette étude a reçu le soutien du Fonds national suisse (FNS).