Vers une mutation du concours d'architecture?

Martin Peikert. © 2024 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0
Unique en son genre, le concours d'architecture suisse garantit une évaluation anonyme et objective des architectes. Favorise-t-il réellement une diversité de pratiques et de profils? C'est ce que s'emploie à vérifier Martin Peikert dans sa thèse. Il en résume les enjeux dans une chronique parue dans trois quotidiens romands.
Le dispositif du concours d’architecture suisse présente plusieurs particularités qui le distinguent sur la scène internationale. D’abord, il est ouvert aux architectes de toutes nationalités tout en imposant l’anonymat des bureaux qui y participent, garantissant ainsi une évaluation objective. Ce mécanisme est largement utilisé en Suisse pour une grande variété de projets, allant des plus modestes écoles primaires aux plus ambitieux musées contemporains.
La finalité de ce système: offrir des opportunités équitables aussi bien aux jeunes qu’aux architectes établis en garantissant une qualité architecturale exceptionnelle. Ce système vise également à stimuler le renouvellement générationnel et à assurer une forme d’émulation compétitive au sein de la profession.
Des limites de plus en plus visibles
L’attractivité du système de concours n’est plus à prouver; il n’est pas rare de rencontrer des situations dans lesquelles 60 architectes se retrouvent à proposer un projet pour une petite école reculée d’un canton alpin. En 2024, une procédure a même dû être annulée en Suisse alémanique; la petite commune organisatrice ne disposait pas d’une salle assez grande pour afficher les projets des concurrents qui dépassaient la centaine. Chaque candidature est ainsi un don pouvant aller de 400 à 600 heures de travail potentiellement non-rémunérées dans l’éventualité où le projet ne serait pas retenu par le jury chargé de sélectionner les gagnants.
Ce modèle, aussi vertueux puisse-il paraître, présente donc certaines limites. À l’heure actuelle, il n’existe pourtant aucun mécanisme d’évaluation statistique permettant d’identifier ces problèmes structurels. Le concours favorise-t-il réellement une diversité de pratiques et de profils? Ou permet-il à une élite réduite de bénéficier d’avantages compétitifs structurels? L’absence de données précises et d’analyses rend toute réponse purement spéculative.
Notre objectif est de vérifier si les principes fondateurs de ce modèle sont encore opérants ou si le système tend à basculer vers une forme de marché oligopolistique
Analyse de données statistiques
Au sein du Laboratoire de construction et d’architecture (FAR), nous proposons d’apporter un éclairage sur ces enjeux en nous appuyant sur des statistiques et une méthodologie quantitative rigoureuse. Pour ce faire, nous avons accumulé durant les deux dernières années, les données de participations individuelles de plus de 30'000 offres dans une base de données permettant l’observation fine de plus de 1500 procédures depuis 1990. Notre objectif est de vérifier si les principes fondateurs de ce modèle sont encore à l’œuvre ou si le système tend à basculer vers une forme de marché oligopolistique.
Ce travail de recherche inédit en Suisse comme à l’étranger vise à comprendre les effets des procédures sur les architectes pour esquisser des pistes possibles de changement que l’institution du concours pourrait intégrer dans un futur proche.
Martin Peikert, architecte et doctorant au Laboratoire de construction et d’architecture (FAR), EPFL
- Cette chronique est parue le 9 avril 2025 dans les quotidiens La Côte (Vaud), Le Nouvelliste (Valais) et Arcinfo (Neuchâtel), dans le cadre d'un partenariat avec le groupe de presse ESH Médias visant à faire connaître auprès du grand public la recherche et l'innovation de l'EPFL dans le secteur de la construction.