Vers des vols entièrement automatisés
Les avions voleront-ils sans pilotes? Mandatés par la société Honeywell et réunis sous l’égide du Centre de Transport de l’EPFL, trois laboratoires y travaillent en développant des algorithmes de prédiction de collisions, d’évitement ou de vision en temps réel. Le projet est un vrai défi technologique.
Y’a-t-il un pilote dans l’avion? Titre d’un film comique américain des années 1980, la question ne sera à l’avenir plus si saugrenue. Dans le cadre d’un partenariat de recherche avec la société Honeywell, spécialisée dans le développement de matériel et de technologies pour différents domaines dont l’aviation, trois laboratoires de l’Ecole travaillent à la réalisation d’un système d’évitement de collisions aériennes entièrement automatisé.
Ce n’est pas demain que des appareils transportant des passagers ou des marchandises seront équipés d’un tel système. Il sera d’abord destiné à de petits avions ou drônes et à des applications non militaires, telles que le survol d’un domaine forestier sensible afin de détecter le moindre départ de feu, le contrôle des accès d’un site industriel ou de frontières. Sans oublier les cas de missions dangereuses ou irréalisables par des êtres humains, telles que la prise de mesures au cœur d’un nuage de cendres volcaniques ou au-dessus d’une centrale nucléaire suite à un accident.
Les chercheurs ont été réunis sous l’égide du Centre de Transports de l’EPFL (TraCE). Le Groupe de coordination en temps réel et de systèmes d’interaction distribués (REACT) s’intéressera à la prévision de trajectoires et l’évitement de collisions en vol. Le Laboratoire de vision par ordinateur (CVLAB) est chargé de doter l’avion d’une véritable intelligence visuelle. Le Laboratoire de systèmes et algorithmes intelligents distribués (DISAL) testera les algorithmes sur des petits robots volants légers.
«Ce projet confirme l’expertise unique de l’EPFL dans le domaine de la recherche en transports. Multidisciplinaire, il réunit pour la première fois trois laboratoires provenant de trois facultés distinctes qui, afin de rester au plus proche des besoins industriels, s’associent avec une grande entreprise comme Honeywell», commente Michaël Thémans, directeur adjoint du Centre de Transport.
Pour Honeywell, ce projet a un grand potentiel dans le domaine civil et commercial, qui va même au-delà de celui de l’aviation. «Ces nouvelles technologies serviront non seulement à améliorer la sécurité générale des vols, par exemple en offrant une meilleure assistance au pilotage, mais elles auront certainement d’autres usages dans la vie de tous les jours», relève George Papageorgiou, qui dirige le département «Aerospace Advanced Technology Europe System Engineering & Applications» chez Honeywell.
Zéro accident
L’équipe du REACT travaille déjà depuis plusieurs années sur les questions d’intersections entre voitures sans chauffeurs. Elle s’attachera désormais également au développement d’algorithmes capables de prédire la position et la trajectoire des avions présents dans une portion de ciel donnée. Il s’agit d’utiliser toutes les informations disponibles, provenant de diverses sources – GPS, radars au sol, caméras, caméras thermiques – pour réaliser des programmes très sûrs, capables d’éviter tout accident et ceci le plus tôt et en amont possible. «C’est un projet qui place la barre technologique très haut», relève Denis Gillet, directeur du groupe.
Du côté du CVLAB, Vincent Lepetit, collaborateur scientifique, développera un système permettant d’analyser les images prises par des caméras haute-définition. «Ce qui apparaît comme une tâche simple pour l’œil humain est un vrai casse-tête à reproduire sur un plan technique, explique le chercheur. La difficulté principale réside dans la grande quantité d’informations à traiter, chaque image étant faite de plusieurs centaines de milliers de pixels!» De plus, il s’agit non seulement de pouvoir repérer les objets présents alentours, mais également de les identifier et prévoir leur trajectoire, vitesse, temps d’approche, etc.
Troisième entité impliquée dans le projet, le DISAL travaillera sur des algorithmes de mise en réseaux des données avec les autres avions alentours. Surtout, il dispose depuis peu d’une aire d’essais de vol, avec chambre de contrôle et va bientôt s’équiper d’un système de positionnement 3D très performant. Capteurs et algorithmes y seront testés sur de petits engins à quatre hélices appelés quadrirotors. «Il s’agira d’intégrer les programmes de prévision de trajectoires, d’évitement, de stabilité, de vision et d’échanges de données développés par les différents laboratoires et de voir comment les mettre en relation en temps réel», explique Alcherio Martinoli, directeur du laboratoire.
Un regard neuf
En s’adressant à l’EPFL, Honeywell cherche non seulement des compétences de pointe, mais également un regard neuf sur les technologies de l’aviation. «Nous avons beaucoup à apprendre de chercheurs venant d’autres domaines de recherche, car ils vont certainement aborder les problèmes sous un autre angle et proposer des solutions et idées différentes», explique George Papageorgiou.
Reste un obstacle de taille: la résistance psychologique et sociale. «L’idée d’avions sans pilote fait encore peur, c’est pourquoi il s’agit d’y aller pas à pas, tempère le représentant d’Honeywell. Développer ces nouvelles technologies prendra beaucoup de temps. C’est une véritable révolution, à laquelle les gens s’habitueront progressivement.»