Urs von Gunten, la star méconnue du traitement de l'eau

Urs von Gunten a toujours allié la recherche à la pratique. © Alain Herzog / 2024 EPFL

Urs von Gunten a toujours allié la recherche à la pratique. © Alain Herzog / 2024 EPFL

Bien qu’il ait reçu de nombreuses reconnaissances internationales pour ses recherches, Urs von Gunten, professeur affilié à l’EPFL et à l'Institut Fédéral Suisse des Sciences et Technologies de l'Eau (Eawag), est un scientifique d’une modestie désarmante. Portrait.

«Lorsque je présente mon domaine de recherche, les gens sont toujours très enthousiastes. Mais dès qu’il faut entrer dans les détails, c’est autre chose», ironise Urs von Gunten. Chimiste formé à l’ETH Zurich, le professeur s’est taillé une réputation internationale dans le traitement de l’eau potable et des eaux usées en participant au développement de pratiques industrielles aujourd’hui standardisées. Des processus d’oxydation et de désinfection qui garantissent un accès sécurisé à l’eau potable. On l’aura compris, ses activités le placent d’emblée du bon côté de la science. Si l’eau potable paraît parfois une évidence dans les régions qui en bénéficient en abondance, les processus qui en assurent la qualité exigent une amélioration continue et une recherche de pointe souvent méconnues.

Un récent aperçu de la carrière d’Urs von Gunten suffit à prouver l’importance de ses découvertes. Le chercheur a ainsi figuré jusqu’en 2022 sur la prestigieuse liste des «Highly Cited Researchers», ses travaux sur les processus d’oxydation de l’eau servant désormais de référence dans son domaine. En 2022, il a reçu le «Award for creative advances» en sciences et technologies de l'environnement de la Société américaine de chimie, dans une cérémonie digne des Oscars. A ce jour, seuls trois scientifiques non américains en ont bénéficié. En janvier 2023, la revue Environmental Science and Technology lui a consacré sa couverture puis, en décembre de la même année, une édition spéciale, qui est revenue sur l’ensemble de sa carrière.

Avec une équipe de sept scientifiques, il recevra cette année le prix Sandmeyer de la Société suisse de chimie pour leurs travaux sur «la dégradation des micropolluants organiques lors de l'ozonation». En janvier 2024, la revue Water Research lui a demandé de résumer lui-même les points forts de ses recherches dans un article nommé «Oxidation processes and me». Un titre choisi par la revue qu’il cite avec la pointe d’autodérision qui le caractérise. Car, malgré une carrière couronnée de succès, force est de constater qu’Urs von Gunten ne se prend pas au sérieux.

Cette modestie lui vient peut-être de l’impression d’avoir eu beaucoup de chance dans son parcours. Que les planètes se sont, en quelque sorte, toujours alignées à des moments clefs de sa vie. Il tient aussi à saluer le travail en équipe dont il a bénéficié. Grâce à ces collaborations, ses recherches ont souvent été plus efficaces. A un an de la retraite, le professeur, aussi affilié à l'Institut Fédéral Suisse des Sciences et Technologies de l'Eau (Eawag), est ainsi traversé par un profond sentiment de gratitude. Envers ses mentors et sa famille, bien sûr, mais aussi envers la population suisse, qui lui a permis de se rendre utile à la société en consacrant l’essentiel de son temps à son domaine de recherche. Plus qu’une carrière scientifique, «c’était un privilège», indique-t-il.

J’étais ravi: je pouvais continuer à travailler comme chimiste, tout en appliquant mes recherches aux enjeux de l’eau potable et des eaux usées, ce qui faisait beaucoup de sens pour moi.

Urs von Gunten

Domaine émergeant

Au début des années 1980, alors qu’il termine un master en chimie à l’ETH Zurich, le jeune Zurichois, fils d’un professeur en chimie nucléaire, refuse de poursuivre sa carrière dans la pharma ou la chimie de synthèse. Il réalise en 1989 un doctorat à l’ETH Zurich sur «le cycle du fer dans les lacs» qu’il complète, en 1991, par un post-doctorat à l’Eawag sur «les processus biogéochimiques lors des processus de filtration sur les rives des cours d'eau». Deux thématiques liées à un domaine alors émergeant amené à s’imposer: les sciences et l’ingénierie de l’environnement.

A l’Eawag, il rencontre celui qui sera son mentor, le professeur Jürg Hoigné, qui est déjà très réputé pour ses recherches sur le traitement de l'eau par oxydation. «J’étais ravi: je pouvais continuer à travailler comme chimiste, tout en appliquant mes recherches aux enjeux de l’eau potable et des eaux usées, ce qui faisait beaucoup de sens pour moi», raconte-t-il.

Lien avec la pratique

Un événement fondateur survient: son mentor l’envoie travailler sept mois dans le centre de recherche de la Compagnie Lyonnaise des Eaux, aujourd’hui appelée Groupe SUEZ. En tant que chimiste, c’est sa première confrontation à la pratique dans le domaine du traitement d’eau. A cette époque, la présence de pesticides dans l’eau potable inquiète. Urs von Gunten teste ses hypothèses en direct et obtient des résultats très encourageants pour dégrader ces composants avec des procédés d’oxydation avancés. Par la suite, il basera une partie de sa recherche sur la pratique, travaillant avec la ville de Zurich, dans la région bâloise, en Europe, aux Etats-Unis, en Australie et en Asie.

Dans le canton de Bâle-Campagne, il étudie la possibilité de créer un approvisionnement régional en eau potable, afin de garantir une meilleure résilience du réseau en cas de pollution et de répondre aux enjeux du changement climatique. «L’exemple des Pays-Bas est très intéressant à cet égard», souligne le professeur. «Ils n’ont que dix à douze fournisseurs d’eau potable pour tout le pays, ce qui leur permet de faire de la planification à plus grande échelle et à long terme et de répondre aux problèmes à venir. En Suisse, l’eau potable est principalement gérée par de petites stations entretenues par des employés communaux travaillant à temps partiel. Cette situation permet moins une telle réflexion.»

Premiers succès

De retour à l’Eawag, Urs von Gunten est nommé en 1995 chef de groupe et prend la direction scientifique de son domaine. L’Organisation Mondiale de la Santé contacte alors l’Institut fédéral pour signaler la formation dans l’eau potable de bromate, un composé potentiellement cancérigène, à la suite de désinfection par ozonation. L’ozone est encore considéré aujourd’hui comme un oxydant et un désinfectant très efficace dans le traitement de l’eau. Le chimiste décide alors de contribuer à résoudre ce problème de santé publique avec son groupe de recherche. Il présente leurs travaux lors de sa première conférence aux Etats-Unis et réalise avec surprise que la Suisse est très en avance sur ces enjeux. «L’Eawag est devenue une référence mondiale grâce à ces recherches pionnières et grâce à sa stratégie à long terme, qui permet de développer la science de base grâce à des procédés issus de la pratique», explique le chercheur.

D’autres interventions lui assurent de nombreux succès. Il se confronte, par exemple, à la féminisation des poissons des rivières, liée à la présence de la substance active de la pilule contraceptive dans les eaux usées. En s’associant à une équipe d’écotoxicologues suisses, son groupe de recherche parvient à solutionner le problème. «Nous avons partiellement modifié les composés d’œstrogène par voie oxydative pour annuler leur effet sur les poissons. Sans cette collaboration interdisciplinaire, nous n’y serions pas parvenus», précise Urs von Gunten.

Le chercheur rejoint l’EPFL au titre de professeur ordinaire en 2011. Il y donne des cours de chimie environnementale et de traitement de l’eau potable en s’efforçant de transmettre sa passion pour son domaine. Il mène également de nombreux projets avec ses collègues de la Faculté de l’environnement naturel, architectural et construit (ENAC) en tirant le meilleur parti du rapprochement entre l’Eawag et l’EPFL.

L’idéal sera à l’avenir d’anticiper la persistance de ces micropolluants au moment même de leur développement, soit avant qu’ils n’entrent dans l’environnement.

Urs von Gunten

Relève essentielle

Urs von Gunten est confiant quant à la relève de son secteur. De nombreux chercheuses et chercheurs qu’il a formés travaillent aujourd’hui dans l’amélioration de la qualité de l’eau, que cela soit à travers des agences de protection de l’environnement, l’industrie chimique, comme professeures ou professeurs ou au sein d’usines de traitement de l’eau. A l’EPFL, le poste de son confrère Christof Holliger, également chercheur et enseignant dans le traitement biologique des STEP, a déjà été remplacé avec l’arrivée de la professeure assistante tenure track Wenyu Gu. Pour son poste, les dossiers de candidatures sont en cours d’analyse.

De nombreux défis attendent ces nouvelles actrices et acteurs du domaine, car plus la recherche progresse, plus les scientifiques parviennent à détecter la trace de nouveaux micropolluants dans les sources d’eau et les eaux usées. On citera par exemple les microplastiques, les composés polyfluorés, nommés PFAS, et les métabolites de pesticides. Urs von Gunten reste toutefois optimiste: «La modélisation des processus chimiques permettra de développer de nouveaux outils capables de prédire le comportement de ces composés dans l’environnement et de développer des stratégies pour les dégrader lors du traitement de l’eau. Mais l’idéal sera à l’avenir d’anticiper la persistance de ces micropolluants au moment même de leur développement, soit avant qu’ils n’entrent dans l’environnement.»

Le professeur compte bien consacrer sa retraite à deux autres passions qu’il nourrit depuis l’enfance: l’escalade et le ski de randonnée. Il assurera bien sûr la transition de ses tâches à l’Eawag, mais ne compte pas devenir «ce vieux chercheur qui hante les couloirs et que plus personne ne connaît». Une chose est certaine: la science, elle, n’est pas prête de l’oublier.


Auteur: Sandrine Perroud

Source: People