Une théorie mécanique vieille de 50 ans enfin vérifiée
Des chercheurs de l’EPFL ont vérifié expérimentalement une théorie mécanique utilisée depuis plus de 50 ans, sans jamais avoir été complètement validée. Dorénavant, ils pourront l’employer dans des cas de plus en plus audacieux et innovants pour développer les systèmes énergétiques de demain.
Certaines théories sont communément appliquées sans que leur base soit complètement validée par l’expérience. C’était le cas, jusqu’à il y a peu, pour «The Narrow Groove Theory», littéralement théorie des rainures minces, qui permet d’expliquer le fonctionnement des paliers aérodynamiques dans les constructions mécaniques.
La validation expérimentale de cette théorie élaborée en 1965 restait lacunaire. Seuls des moyens incomplets ou indirects avaient été utilisés. Mais à l’EPFL, des chercheurs du Laboratoire de conception mécanique appliquée (LAMD) situé à Microcity viennent de combler cette lacune. Ils complètent ainsi un vide laissé dans la littérature scientifique depuis plus de 50 ans. Leur étude a été publiée dans Mechanical Systems and Signal Processing.
Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour combler cette lacune? Selon Eliott Guenat, premier auteur de l’étude, «les ingénieurs de l’époque se sont satisfaits d’une recherche empirique en voyant que dans les applications qu’ils envisageaient la théorie fonctionnait, mais la situation a changé. Nous développons maintenant de nouvelles formes de pièces mécaniques, plus compliquées et plus audacieuses».
Jürg Schiffmann et Eliott Guenat © EPFL 2020
La théorie des rainures minces a été conçue en 1965 par J. H. Vohr et C. Y. Chow du Mechanical Technology Inc de New York. Elle permet d’expliquer le fonctionnement des paliers aérodynamiques: dans les constructions mécaniques, les pièces tournantes sont supportées par des paliers, ce qu'on appelle communément roulements. Parmi les différents types de paliers existants, les paliers aérodynamiques sont des plus prometteurs pour développer des machines tournantes ultra rapides. Ils permettent d’avoir la partie tournante du mécanisme qui lévite sans contact sur un coussin d’air, généré par la rotation de l’arbre. «Ces paliers aérodynamiques ont l’avantage de ne provoquer aucune forme d’usure puisqu’ils fonctionnent sans frottement, déclare Jürg Schiffmann, responsable du LAMD. Dans mon laboratoire, nous travaillons avec ce système pour développer les systèmes énergétiques de demain.»
Conforter les bases
Pour valider la théorie des rainures minces, les chercheurs ont construit un banc d’essai où tourne un axe sur paliers aérodynamiques. La vitesse de rotation y atteint les 100 mille tours par minute. Ils ont alors créé des vibrations et observé comment l’arbre qui lévite sur les paliers aérodynamiques réagissait. Puis, ils en ont déduit la rigidité et la capacité d’amortissement des paliers aérodynamiques. Des caractéristiques qui ont ensuite été comparées à ce que prédisait la théorie des rainures minces. Il s’avère que la théorie surestime légèrement les coefficients de rigidité et d'amortissement.
«Nous avons pu quantifier à quel point la théorie fonctionne, explique Eliott Guenat. Maintenant que les bases sont consolidées, nous pouvons aller de l’avant et sortir de ce qui a été fait jusqu’ici dans l’industrie et la recherche.»
Le doctorant va poursuivre ses expériences en effectuant de nouvelles mesures. «Au lieu d’avoir des paliers aérodynamiques fonctionnant à l’air, nous allons utiliser du fluide réfrigérant, un gaz utilisé dans les pompes à chaleur, indique-t-il. Mon objectif sera de valider la théorie non seulement dans l’air, mais aussi dans ces gaz réfrigérants, qui sont chimiquement et physiquement bien différents de l’air.»
Une théorie élégamment simple
Très élégante mathématiquement, la théorie des rainures minces n’aurait probablement pas été inventée si l’on ne s’était intéressé aux paliers aérodynamiques qu’à l’époque actuelle. «Aujourd’hui, on mettrait nos données dans un ordinateur et il ferait le calcul seul. Mais même avec sa puissance de calcul, il lui faudrait plusieurs longues minutes pour arriver au résultat, affirme Eliott Guenat. Alors qu’en employant la théorie des rainures minces, on les obtient en quelques secondes.» Maintenant complètement validée, cette théorie pourra être appliquée à des projets innovants pour concevoir de nouveaux systèmes énergétiques.
Eliott Guenat, Jürg Schiffmann, 2020 “Dynamic force coefficients identification on air-lubricated herringbone grooved journal bearing”, Mechanical Systems and Signal Processing, 136, 106498. doi : 10.1016/j.ymssp.2019.106498