Une source de plasma polyvalente au cœur des innovations de demain

De gauche à droite: Dr. Alan Howling, Professeur Ivo Furno et Dr. Philippe Guittienne © Nadia Barth / EPFL
Depuis plus de deux décennies, Dr Philippe Guittienne, physicien au Swiss Plasma Center, repousse les limites de la production de plasma. En 2003, il conçoit l’antenne résonante, une technologie qui surmonte les limites des sources de plasma conventionnelles. Cette innovation ouvre aujourd'hui la voie à de nouvelles applications, notamment dans l’industrie de la microélectronique, un secteur représentant un marché mondial de plusieurs milliers de milliards de francs.
Il dévoile tous les détails de cette avancée dans un récent ouvrage intitulé «Resonant Network Antennas for Radio-Frequency Plasma Sources», coécrit avec le Dr Alan Howling et le Professeur Ivo Furno. Ce guide de près de 500 pages, ancré dans les principes de l’open science, constitue une référence pour les chercheurs, ingénieurs et professionnels de l’industrie souhaitant concevoir, comprendre et utiliser cette technologie stratégique.
Sans les technologies du plasma, il n’y aurait ni smartphones, ni puces, ni cartes SIM. Sans elles, il serait impossible de fabriquer avec une extrême précision les composants miniaturisés de nos appareils électroniques modernes. Discrètes mais révolutionnaires, ces technologies façonnent l’industrie de la microélectronique contemporaine et s’imposent dans de nombreux secteurs industriels. C’est dans ce contexte dynamique et ce marché en pleine expansion que s’inscrivent les antennes à résonance développées au Swiss Plasma Center (SPC), une innovation née de manière inattendue.
Eurêka!
L’idée des antennes résonantes a émergé grâce à une technologie issue d’une autre sphère scientifique: l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM). Ces dispositifs médicaux utilisent des ondes radiofréquences pour exciter les spins des atomes du corps et produire des images détaillées. En 2003, Philippe Guittienne, alors chercheur au SPC, y a perçu une nouvelle possibilité. Inspiré par la thèse de doctorat de son épouse, il a eu une sorte d’épiphanie : et si ce même principe pouvait être utilisé pour générer du plasma?
Ce déclic a conduit au développement des antennes à réseau résonant, une source de plasma qui génère des électrons hautement énergétiques, favorisant des réactions chimiques inédites sans chauffer ni le gaz ni les surfaces. Cette avancée préserve la qualité des matériaux, ce qui en fait une technologie idéale pour la fabrication ultra-précise.
L’impact de cette innovation est considérable. Si le plasma est souvent associé à l’énergie de fusion, ses applications vont bien au-delà. Il intervient entre autres dans la conception de satellites et de propulseurs plasma, le revêtement de pales de turbines d’avion, le dépôt de couches minces pour les panneaux solaires, l’emballage en rouleau, le soudage plasma et le traitement des déchets. Dans le domaine médical, les bioplasmas sont utilisés pour la stérilisation, le traitement des plaies et même le traitement du cancer. Mais c’est sans doute dans la microélectronique, cette industrie qui se trouve au cœur de notre monde numérique moderne, que son impact est le plus frappant.
Un marché de plusieurs milliers de milliards de francs
Les fabricants de puces utilisent le plasma pour imprimer des circuits électroniques à l’échelle nanométrique. Ces circuits sont composés de millions de transistors fabriqués sur une plaquette de silicium. Pour isoler les transistors entre eux, le silicium est gravé selon un motif déposé au préalable sous forme de couche photosensible.
Autrefois, ce processus était réalisé par «gravure humide» à base d’acides, qui dissolvaient le silicium exposé dans toutes les directions, élargissant le motif au fur et à mesure de sa pénétration dans le matériau. Ce phénomène empêchait d’imprimer des détails fins sur la plaquette. La fabrication de circuits à l’échelle nanométrique exige donc une autre approche. C’est là qu’intervient la gravure plasma.
Au lieu des acides, on utilise des ions accélérés à travers la gaine plasma qui se forme spontanément au contact de la surface du silicium. Les ions bombardent alors le silicium uniquement dans la direction perpendiculaire, garantissant ainsi une reproduction fidèle du motif du circuit.
Les antennes à réseau résonant pourraient avoir un impact considérable sur le traitement plasma des grandes surfaces pour la microélectronique
Cependant, un défi persiste : les sources de plasma monolithiques traditionnelles peinent à maintenir une uniformité sur de grandes surfaces. Or, les fabricants de semi-conducteurs cherchent à produire des plaquettes de silicium toujours plus grandes. La technologie conventionnelle atteint donc ses limites. C’est donc ici que les antennes à réseau résonant pourraient bouleverser la donne. Contrairement aux sources de plasma classiques, ces antennes répartissent l’énergie de manière homogène sur de vastes surfaces, permettant une gravure plasma de haute précision à l’échelle industrielle.
Cette technologie pourrait offrir à l’Europe une opportunité d’entrer sur un marché mondial de plusieurs milliers de milliards de dollars, actuellement dominé par les États-Unis et l’Asie. «Les antennes à réseau résonant pourraient avoir un impact considérable sur le traitement plasma des grandes surfaces pour la microélectronique», déclare Alan Howling, ancien chercheur au SPC et co-auteur du livre.
Auteurs du livre
- Philippe Guittienne est physicien au Swiss Plasma Center, au sein du groupe Physique des plasmas basse température et applications du SPC. Il est également fondateur de Helyssen Sàrl, entreprise dédiée au développement et à la commercialisation des antennes à réseau résonant comme sources de plasma.
- Alan Howling est collaborateur scientifique senior, ancien chercheur et enseignant au Swiss Plasma Center.
- Ivo Furno est professeur adjoint à l’EPFL et responsable du groupe Physique des plasmas basse température et applications du SPC
Pour aller plus loin:
Antennes à Réseau Résonant
La génération de plasma, le quatrième état de la matière, nécessite plusieurs composants. Tout d'abord, elle requiert un gaz tel que l'argon, l'azote ou l'hydrogène. Dans des conditions normales, ces gaz ne sont pas sous forme de plasma. Un champ électromagnétique externe fort est appliqué dans la gamme des ondes radio-fréquences (RF) pour ioniser les atomes et les molécules du gaz: les électrons suivent le champ électrique, tandis que les ions restent presque intacts en raison de leur forte inertie. Ces électrons produisent une cascade de collisions avec les atomes du gaz et les ionisent, entraînant ainsi la génération du plasma. Enfin, un champ magnétique externe peut être utilisé pour façonner et confiner le plasma.
Traditionnellement, il existe deux techniques principales pour générer du plasma: les sources de plasma à couplage capacitif et inductif. Bien que ces deux technologies soient couramment utilisées dans l'industrie, leur impédance de réacteur asymptotique et la non-uniformité du plasma imposent des limitations pour le traitement de grands substrats. Les antennes à réseau résonnant peuvent surmonter ces limitations grâce à leur structure résonante distribuée.
Les antennes à réseau résonnant se composent d'un maillage d'éléments inductifs et capacitifs parallèles, dont le circuit global présente un ensemble de modes résonants. La capacité est choisie de manière à ce que le courant électrique résonne à des fréquences radio de quelques MHz. Les champs magnétiques oscillants associés induisent des champs électriques dans le gaz à basse pression environnant, qui se décomposent électriquement pour former un plasma d'ions et d'électrons. L'impédance réelle à la fréquence de résonance simplifie l'adaptation de puissance et minimise les courants d'entrée élevés inhérents à l'augmentation de la taille des dispositifs conventionnels à couplage capacitif ou inductif.


Les antennes à réseau peuvent être construites sous deux configurations de base: planaire (également appelée «échelle») et cylindrique (également appelée «cage à oiseaux»). Les configurations planaire sont utilisées pour créer un plasma plat pouvant couvrir de grandes surfaces. Cette configuration est particulièrement adaptée pour le traitement de plasma des tranches de silicium, des panneaux de cellules solaires et des écrans plats, ainsi que pour le traitement du verre dans l'architecture, par exemple. D'autre part, la conception cylindrique ou «cage à oiseaux» est mieux adaptée au traitement en volume de plusieurs éléments, comme les barrières biocompatibles sur les implants médicaux, ainsi qu'à l'activation des plastiques pour l'adhésion de la peinture sur les composants automobiles. Toutes ces applications représentent un marché énorme et en forte croissance.
Le Swiss Plasma Center (SPC) mène certaines des recherches et développements les plus avancés dans le domaine de la physique du plasma et des technologies, notamment dans l'énergie de fusion et les sources de plasma, y compris les antennes à réseau résonnant.
Plusieurs expériences du SPC utilisent des antennes à réseau résonnant pour produire du plasma. Par exemple, le dispositif TORPEX est le principal dispositif expérimental du groupe Physique des Plasmas à Basse Température et Applications. Les expériences menées sont axées sur la compréhension de la turbulence dans le plasma, un phénomène important pour comprendre les mécanismes fondamentaux de la stabilité du plasma. L'expérience RAID (Resonant Antenna Ion Device) est un système hélicon linéaire destiné à étudier la production d'ions négatifs d'hydrogène et de deutérium dans le volume du plasma. Ces ions sont des éléments clés du programme de recherche sur la fusion.
Les chercheurs du SPC enquêtent intensivement sur les géométries planaire, cylindrique et toroïdale, avec des dimensions d'antenne allant de quelques cm à plusieurs mètres. L'expérience croissante dans la construction et l'exploitation de sources de plasma conduit au développement de nouvelles solutions qui surmontent les limitations de la technologie actuelle.
«Helyssen Sàrl possède la propriété intellectuelle des antennes à réseau résonnant. Cela signifie que le SPC est actuellement le seul laboratoire à ouvrir de nouvelles voies avec ces sources de plasma », conclut Alan Howling.
Une référence unique sur les sources de plasma
Publié en 2024 par l’Institute of Physics dans sa collection Series in Plasma Physics, l'écriture de ce livre est motivé par l’essor des applications industrielles du plasma. Il s’agit du seul ouvrage de référence couvrant l’ensemble des aspects théoriques des antennes à réseau résonant, des circuits résonants de base aux solutions matricielles plasma-inductives partielles, en passant par les recherches de pointe en physique des ondes helicon et leurs applications industrielles.
«Ce livre intéressera les professionnels et étudiants en physique des plasmas, les groupes de R&D industriels, l’industrie de la microélectronique et les chercheurs en général», affirme Alan Howling.