Une solution terre à terre

© 2012 EPFL

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Avec la bonne recette, les bactéries pourraient apporter la solution à un problème écologique lancinant.

Les professeurs D. Andrew Barry et Christof Holliger sont des experts en réhabilitation des sols, le nettoyage des pollutions souterraines. Au fil des ans, les substances toxiques pénètrent lentement à travers le terrain pour atteindre la nappe phréatique, occasionnant des problèmes de santé, notamment le cancer, aux êtres humains et aux animaux. Nous avons fait des progrès pour la séquestration des fûts de stockage souterrains afin d’éviter les fuites, et de nombreux pays ont promulgué des lois qui interdisent le dépôt de déchets toxiques tels les produits de nettoyage ou huiles de vidange. Toutefois, des étendues immenses restent contaminées par d’anciens déchets toxiques, ce qui les rend inhabitables et dangereuses pour les populations avoisinantes. Au-delà des approches traditionnelles, comme le dépôt des sols contaminés dans des sites isolés qui ne posent pas de problème au niveau des eaux souterraines, le scellage des polluants pour éviter qu’ils ne contaminent les eaux, ou la dilution des polluants sur une plus large étendue pour les ramener à des concentrations admissibles, les professeurs Barry et Holliger s’attaquent au problème avec ce que le 21ème siècle fait de mieux en matière de technologie: les ordinateurs et les bactéries.

Les bactéries sont les championnes de la dégradation. C’est grâce à elles que les déchets peuvent se transformer en engrais. Des procédés chimiques astucieux leur permettent d’absorber le carbone et de produire des dérivés inoffensifs comme l’hydrogène, le gaz carbonique et l’eau. Elles sont capables de transformer les polluants des sols contaminés en d’autres substances qui, bien que peu appétissantes, ne sont plus toxiques.

Le professeur Holliger met au point une véritable armada de bactéries capables de neutraliser les substances les plus méchantes et cancérogènes de toutes, les solvants à base de chlorure. Utilisés dans le nettoyage à sec, comme détachants et comme dégraissants, ils sont plus denses que l’eau et coulent donc au fond de la nappe phréatique. Il est difficile de prédire leur déplacement dans les sols et, parce qu’elles ont besoin d’air pour fonctionner, les bactéries communes sont incapables de dégrader ces composés. D’autres espèces qui respirent par anaérobie ont la faculté de casser les liens chlore-carbone sous l’eau, mais il leur faut un apport constant d’hydrogène pour pouvoir fonctionner. On peut rendre ce procédé possible en ajoutant de la matière organique à l’eau. D’autres types de bactéries ont des facultés de fermentation qui produisent de l’hydrogène. Malheureusement, l’un des effets secondaires du procédé de réduction du chlore est l’acide chlorhydrique. Or, les bactéries anaérobies ont une tolérance limitée aux acides: trop d’acide, et c’est la grève. D’après le professeur Holliger, on peut compenser cet effet en ajoutant un agent tampon. Un peu compliqué peut-être, mais si ça peu contribuer à la dégradation des solvants.

En fait, ce n’est pas gagné d’avance. Le sol n’est pas une éprouvette, et d’autres espèces disputent le complément d’hydrogène à nos braves bactéries anaérobies. Faut-il accélérer le processus par un apport accru de biomasse? quel type de tampon employer pour compenser l’augmentation du niveau d’acidité? Comment et où l’ajouter? l’approche empirique (retoucher la recette jusqu’à l’obtention du mélange parfait) est impuissante face à un problème réel de contamination des eaux. C’est là qu’intervient le professeur Barry, expert de la modélisation de la physique et de l’hydrologie des sols et des eaux souterraines. Grâce à un projet financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, les chercheurs ont pu élaborer un modèle qui intègre tous ces facteurs interreliés la quantité de biomasse ajoutée, la fermentation, les types de bactéries et leurs temps de réaction, y compris les diverses espèces en concurrence, enfin l’interaction avec divers agents tampons. Par leur collaboration, les deux professeurs sont en train de transformer les conditions de laboratoire en un modèle de couche aquifère qui, un jour peut-être, offrira aux agents de réhabilitation un véritable outil sur mesure pour décontaminer les sols et les eaux souterraines.