Une solution ingénieuse arrête les vibrations des pièces tournantes

Thomas Berger (à droite), doctorant, et Mohamed Farhat, directeur de thèse. 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Thomas Berger (à droite), doctorant, et Mohamed Farhat, directeur de thèse. 2025 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Un doctorant en génie mécanique de l’EPFL a développé une technologie ingénieuse qui permettrait d’éliminer les vibrations induites par l’écoulement dans les machines tournantes, comme les hélices de bateaux, turbines, pompes ou autres éoliennes. Sa découverte sort d’une imprimante 3D et vient d’être brevetée.

On pourrait parler ici de la chance du débutant. Thomas Berger commençait à peine son doctorat en génie mécanique au sein de la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur que sa découverte faisait déjà l’objet d’un article scientifique et d’un brevet. Un travail commencé pendant ses études de Master auquel il a associé une imprimante 3D et qui l’a mené à la création d’une nouvelle technologie prometteuse déjà convoitée par des investisseurs.

Au sein de son laboratoire, une équipe de scientifiques menée par Mohamed Farhat se spécialise dans l’étude des écoulements complexes, avec des applications variées allant des bateaux à voile aux turbines hydrauliques qui produisent de l’électricité. «Ces dernières posent de nombreux défis scientifiques et techniques que nous nous efforçons de relever dans nos imposantes installations», explique Mohamed Farhat, également directeur de la thèse de Thomas Berger. «Le défi majeur reste les vibrations induites par l’écoulement, un problème central pour les concepteurs comme pour les exploitants.» Et qui dit vibrations dit tourbillons.

Puissance des tourbillons de Kármán

Ces derniers sont un phénomène récurrent qui se produit lorsque l’écoulement d’un fluide, qu’il s’agisse d’eau ou d’air, rencontre un obstacle. On les observe aussi bien sur les bateaux de la CGN, les ailes d’avion ou encore sur la tour Khalifa à Dubaï. Au-delà d’une certaine vitesse, l’écoulement génère des tourbillons alternés qui exercent des forces périodiques sur les surfaces, à l’origine des fameuses vibrations. Parfois très puissants, ces tourbillons peuvent endommager des turbines ou même des ponts – comme ce fut le cas pour le pont de Tacoma aux États-Unis en 1940. Le scientifique Theodore von Kármán fut le premier à les étudier en 1911, et ces tourbillons portent aujourd’hui son nom.

Ironie de l’histoire: lorsque Gustave Eiffel fit ériger sa tour en 1887, haute de 330 mètres, le phénomène des tourbillons de Kármán n’était pas encore connu. «C’est sans doute la structure poreuse qui a sauvé l’édifice, explique Mohamed Farhat. Elle a permis d’atténuer l’intensité des tourbillons. Un vrai coup de chance!». C’est d’ailleurs cette piste de la porosité que Thomas Berger a choisi d’explorer dans ses recherches.

Jusqu’ici, les ingénieures et ingénieurs ont imaginé de nombreuses solutions, comme arrondir les bords de fuite des pales des machines tournantes – c’est-à-dire là où naissent les tourbillons. Ces techniques permettent de réduire les vibrations, avec plus ou moins de succès, mais ne parviennent pas à les éliminer complètement.

Structure de remplissage solide et légère

«D’un point de vue théorique, il n’est pas possible de prédire l’ampleur des vibrations pour une configuration donnée», explique Thomas Berger. C’est pourquoi il a choisi une approche expérimentale en utilisant l’impression 3D, une technologie qu’il maîtrise particulièrement. Après de longues heures passées à tester différents matériaux et formes, il s’est concentré sur une structure géométrique particulière. «Une forme fascinante, issue des mathématiques, mais qui présente aussi des propriétés mécaniques remarquables», souligne-t-il. Il s’agit de la gyroïde, une structure tridimensionnelle faite de surfaces courbes continues, qui combine porosité et tortuosité tout en restant à la fois légère et solide.

Une fois imprimée, il a collé cette structure en résine plastique sur le bord de fuite d’une aile en acier et l’a testée dans un tunnel à échelle réduite. Et là, plus de tourbillons ni de vibrations! «Cette forme précise tue les tourbillons dans l’œuf», s’émerveille Mohamed Farhat. Et elle n’impacte pas non plus la performance de la machine.» Pour arriver à cette configuration parfaite, Thomas Berger a combiné maths, programmation et modélisation 3D sur ordinateur.

Reste une interrogation de taille: pourquoi cette forme précise empêche-t-elle les tourbillons de se former? «Ma thèse est en quelque sorte à l’envers: j’ai commencé par trouver une solution et maintenant je bataille pour démontrer scientifiquement pourquoi elle fonctionne», ajoute Thomas Berger.

Dans l’intervalle, cette technologie prometteuse a été brevetée et intéresse les premiers investisseurs. À l’avenir, elle devra également être testée dans des conditions plus complexes, à l’image des turbines.

Financement

Fonds national suisse et EPFL-Technologie Transfer Office (TTO)

Références

Gyroid as a novel approach to suppress vortex shedding and mitigate induced vibration, Berger, T., Farhat, M., Scientific reports 15, 25777 (2025).


Auteur: Rebecca Mosimann

Source: Sciences et techniques de l'ingénieur | STI

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