Une simulation pour dévoiler l'origine des ondes cérébrales

© 2013 EPFL

© 2013 EPFL

Développés au sein du projet «Blue Brain» à l’EPFL, des modèles informatiques de circuits neuronaux produisent des signaux électriques comparables aux ondes cérébrales mesurées in vivo. Ces résultats, publiés dans le journal «Neuron», vont aider les chercheurs à comprendre comment de tels signaux surgissent dans le cerveau.


Pendant près d’un siècle, les neuroscientifiques ont étudié les ondes cérébrales pour décrypter les désordres neurologiques, ou tenter de comprendre comment nous pensons. Pour autant, on ne comprend pas encore comment nos milliards de neurones interconnectés collaborent pour produire ces signaux. Des chercheurs suisses du Blue Brain Project, au cœur du projet européen Humain Brain Project, et leurs confrères américains du Allen Institute for Brain Science, ont montré qu’un modèle informatique complexe peut fournir les bases d’une nouvelle approche, susceptible de résoudre ce mystère. Leur travail est publié dans le numéro du 24 juillet du journal Neuron.

Le cerveau se compose de nombreux types de neurones différents, qui émettent des signaux électriques. Les chercheurs peuvent observer cette activité globale, grâce à des électrodes, placées sur la tête ou directement dans le tissu cérébral – un procédé commun, connu sous le nom d’électroencéphalographie. Comment les neurones, interconnectés dans des réseaux complexes, génèrent-ils ces signaux que l’on mesure dans le cerveau humain ou animal? La simulation offre des clés pour répondre à cette question.


La modélisation informatique, une étape nécessaire
Le Blue Brain Project a pour objectif de modéliser un cerveau humain. Pour l’heure, les scientifiques étudient les tissus cérébraux d’un rat, et caractérisent dans les moindres détails différentes sortes de neurones en enregistrant leurs propriétés électriques, formes, tailles et interconnections.

Afin de résoudre la question de l’origine des ondes cérébrales, les chercheurs de l’EPFL et de l’Institut Allen ont mis à contribution les infrastructures du Blue Brain Project, en Suisse. Leur travail repose sur un modèle informatique, qui englobe une quantité inédite de détails pour environ 12'000 neurones.

En observant leur modèle, les scientifiques se sont aperçus que l’activité électrique de l’ensemble du système était dans une très large mesure analogue aux ondes cérébrales mesurées in vivo chez les rongeurs. La simulation informatique intégrant un nombre inédit de données physiques, chimiques et biologiques, les ondes cérébrales peuvent désormais être analysées avec un niveau de complexité impossible à atteindre avec des mesures effectuées sur des tissus cérébraux réels.

«Il nous faut un modèle informatique précisément parce qu’il est impossible d’analyser simultanément l’activité électrique de milliards de neurones individuels et les ondes cérébrales qui en résultent, explique Sean Hill, chercheur à l’EPFL et co-auteur. Le modèle nous donne les moyens d’interpréter, à l’échelle d’un neurone individuel, les ondes cérébrales telles qu’elles sont mesurées sur un tissu, au laboratoire.»

Les neurones fonctionnent comme de minuscules batteries. Ils qui ont besoin d’être chargés pour produire des impulsions électriques. C’est à travers ces impulsions que les neurones communiquent entre eux, et génèrent pensées ou perceptions. La recharge d’un neurone s’effectue via des particules, les ions, qui se déplacent à travers de minuscules canaux.

Pour les scientifiques, le principal défi consistait à intégrer dans leur simulation une quantité extrêmement élevée de paramètres décrivant le comportement électrique des neurones – plusieurs milliers pour chacun des 12'000 neurones. Ce faisant, ils ont pu constater que l’activité électrique globale de leur modèle était comparable à celle des cerveaux de rats, leur donnant de précieux indices sur les causes sous-jacentes des ondes cérébrales.
«Notre modèle est encore incomplet, mais il y a des similitudes frappantes entre les signaux électriques produits par la simulation informatique, et les mesures effectuées sur des cerveaux du rat», explique Costas Anastassiou, chercheur au Allen Institute for Brain Science et co-auteur.

Pour Sean Hill, cette recherche est véritablement pionnière. «Pour la première fois, nous avons pu démontrer que le comportement complexe des canaux ioniques sur les branches des neurones influence directement la forme des ondes cérébrales.»

Le chemin est encore long pour parvenir à une simulation complète. Même si les signaux électriques générés par le modèle sont analogues aux mesures effectuées in vivo, les scientifiques sont conscients qu’il reste nombre de questions à résoudre. Par exemple, la simulation est calquée sur les neurones qui contrôlent les membres postérieurs, alors que les données relevées sur les animaux vivants se basent sur des ondes cérébrales provenant de neurones avec une fonction similaire, mais dédiés au contrôle des moustaches.

«Toutefois, le modèle informatique utilisé nous a permis de définir, et surtout de quantifier les caractéristiques fondamentales de la production de signaux électriques par les neurones», précise Costas Anastassiou.

Le modèle informatique permet de construire des ponts entre les neurosciences cognitives et la biophysique cellulaire. Ces deux disciplines poursuivent le même but - la connaissance du cerveau - mais ne partagent ni les mêmes méthodes, ni le même langage. En simulant l’activité électrique du cerveau, et en mettant au jour les relations entre ondes cérébrales et comportement des neurones, les chercheurs ont pour ambition de combler ce fossé. Au final, ils comptent sur ce travail pour permettre l’émergence de meilleurs outils de diagnostic des désordres neurologiques et, à un autre niveau, une meilleure compréhension de l’être humain.


Auteur: Hillary Sanctuary

Source: EPFL