Une simple bille, un vrai défi mathématique

© 2014 EPFL

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Série d’été – travaux d’étudiants (9): Dans quelle mesure peut-on prédire le chiffre sur lequel la bille de la roulette va tomber? Pour son travail de master, Philippe Paccaud, étudiant en microtechnique, s’est attaqué à cette question complexe. Au final, pas d’équation miracle, mais une bonne dose d’ingéniosité.

Une balade à la recherche de la poule aux œufs d’or. Voilà ce que propose, en substance, Philippe Paccaud dans son travail de master mené au Laboratoire d’automatique de l’EPFL. Cet étudiant en microtechnique s’est penché sur la question qui intrigue plus d’un mathématicien: dans quelle mesure peut-on prédire le chiffre sur lequel la bille d’un jeu de roulette va tomber? S’il n’a pas trouvé l’équation miracle, le jeune homme a pu obtenir quelques résultats intéressants.

Philippe Paccaud a dû faire preuve d’ingéniosité. Il a monté sa propre plateforme d’expérimentation personnalisée. Elle se compose essentiellement d’une roulette, d’un ordinateur et d’une caméra pour enregistrer les moindres mouvements de la bille et la position du chiffre zéro en guise de point de repère. Afin d’assurer de la constance dans la source de lumière et donc dans la détection, l’étudiant a eu l’idée de répartir des leds le long d’une vieille jante de vélo, qu’il a ensuite suspendue au-dessus de la roue.

«Avec cette installation, j’ai réalisé mille lancers, dont j’ai enregistré toutes les données dans le but d’en tirer un modèle», raconte Philippe Paccaud. Des algorithmes de traitement d’images lui ont permis de mesurer la position de la balle et de la roulette à chaque instant. L’application d’un filtre de Kalman – outil permettant d’estimer les variables d'un système dynamique à partir de mesures partielles et/ou bruitées – a servi à estimer la vitesse et l’accélération. La base de données ainsi créée a pu être analysée grâce à des algorithmes d’apprentissage automatique (machine learning). C’est d’ailleurs là l’une des originalités de ce travail, les études pré-existant sur le sujet se basant essentiellement sur des modèles physiques.

légère inclinaison

La collecte de données n’a pas été sans difficultés. L’étudiant s’est rapidement rendu compte qu’il fallait corriger un défaut de la roulette: une légère inclinaison influençant déjà la trajectoire de la bille. «Une différence de 0,2 degré suffit pour que les résultats soient biaisés», décrit-il. Autre difficulté: avec au départ quelque 1400 données différentes enregistrées pour chaque lancer, il s’est retrouvé avec une quantité d’informations beaucoup trop grande et tout simplement impossibles à analyser. Il a donc dû les trier afin de les réduire aux plus pertinentes. Enfin, Philippe Paccaud a également dû passer du temps à assurer le bon positionnement de la caméra au-dessus du jeu. «Elle doit être placée très exactement au centre, afin que nous puissions être sûrs d’avoir une mesure précise de la position de la balle, une éventuelle erreur se reportant inévitablement sur l’estimation de la vitesse et de l’accélération».

Une fois ces corrections prises en compte, l’étudiant est parvenu à prédire avec 43% de réussite quel déflecteur - pièces métalliques en forme de losange placées sur le pourtour en bois, juste au-dessus des cases chiffrées - la bille allait toucher en premier. «Une suite de ce travail serait de tester d’autres algorithmes pour prédire dans quelle moitié de la roulette la balle a le plus de chances de venir se loger», relève-t-il.

Prédire la zone

En conclusion, Philippe Paccaud souligne la grande complexité du problème. Non seulement chaque lancer met en jeu un nombre gigantesque de variables, mais une seule petite variation des paramètres de la balle (position, vitesse, accélération) changera complétement le résultat final, rendant ainsi, d’après lui, la prédiction du chiffre exact pratiquement impossible. «Une de mes sources mentionne qu’une différence de 2 millimètres par seconde pour une vitesse initiale d’environ 1.3 mètres par seconde (soit une marge de ~0.2%) de la balle donne le même résultat, mais que juste en dehors de cette fourchette, le résultat final se trouve 10 cases plus loin! On peut plutôt parler de probabilité d’estimer correctement la zone de la roulette dans laquelle la balle va s’arrêter.»

Mais en réalité, ce ne sont pas ces chiffres qui ont le plus intéressé Philippe Paccaud dans ce travail. «J’ai trouvé particulièrement enrichissant de partir de zéro, de mener un projet soi-même de A à Z et d’imaginer tout un système d’expérimentation et d’analyse, ceci avec la confiance des enseignants».