Une réduction active du bruit par ionisation de l'air
Des scientifiques de l’EPFL montrent qu’une fine couche de plasma, générée en ionisant l’air, s’avère prometteuse pour réduire activement les sons, avec des applications dans le contrôle du bruit ou l’acoustique intérieure.
Saviez-vous que l’on peut utiliser des câbles pour ioniser l’air et produire un haut-parleur? En quelques mots, il est possible de générer du son à partir d’un champ électrique entre deux câbles parallèles – autrement dit, un transducteur plasma – assez puissant pour ioniser les particules de l’atmosphère. Les ions chargés sont accélérés le long des lignes du champ magnétique et poussent l’air résiduel, non ionisé, de telle sorte qu’il produit un son.
Or si un haut-parleur peut générer du son, il peut aussi l’absorber.
L’idée de haut-parleur à plasma n’est pas nouvelle, mais les scientifiques de la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur à l'EPFL l’ont poussée plus loin et ont construit une démonstration de transducteur plasma. Il s’agit d’étudier la problématique de la réduction du bruit. L’équipe a produit un concept innovant, appelé «métacouche plasmacoustique» (plasmacoustic metalayer) que l’on peut déployer pour supprimer les sons. Leurs résultats sont publiés dans Nature Communications.
Les scientifiques étaient intrigués à l’idée d’utiliser le plasma pour réduire le bruit, parce que l’approche permet de s’affranchir de l’élément le plus important des haut-parleurs conventionnels: la membrane. Ces haut-parleurs, comme ceux que l’on trouve dans votre voiture ou à votre domicile, sont l’une des technologies les plus étudiées pour des solutions de réduction active du bruit. «Active», parce que l’on peut contrôler la membrane pour éliminer divers sons, par opposition à un mur qui s’acquitterait de la même tâche de manière passive.
Mais avec des haut-parleurs conventionnels comme absorbeurs de sons, la membrane limite la gamme de fréquences des opérations. Pour absorber le bruit, la membrane agit mécaniquement, en vibrant pour supprimer les ondes sonores dans l’air. Le poids relativement élevé de la membrane, c’est-à-dire son inertie, limite sa capacité à interagir de manière efficace avec des sons qui changent rapidement ou avec de hautes fréquences.
«Nous voulions réduire autant que possible l’effet de la membrane à cause de sa lourdeur, explique Stanislav Sergeev, postdoctorant au laboratoire d’acoustique de l’EPFL et premier auteur. D’abord, on ionise la fine couche d’air entre les électrodes – ce que nous appelons la métacouche plasmacoustique. Maintenant qu’elles sont chargées électriquement, ces mêmes particules atmosphériques répondent instantanément aux commandes externes sur le champ électrique et interagissent efficacement avec les vibrations sonores de l’air alentour pour les supprimer.»
Stanislav Sergeev poursuit: «Comme nous nous y attendions, le système de contrôle électrique du plasma et l’environnement acoustique communiquent bien plus rapidement qu’avec une membrane».
Le plasma n’est pas seulement efficace à haute fréquence. Il est aussi versatile, et l’on peut le régler pour qu’il agisse également avec les basses fréquences. En effet, les scientifiques montrent que l’on peut contrôler les dynamiques des fines couches de plasma d’air pour qu’elles interagissent avec le son largement au-dessous de sa longueur d’onde, répondent activement au bruit et le suppriment sur une large bande de fréquences. La nature active du système est centrale: les technologies passives de réduction de bruit sont limitées en termes de bandes de fréquences contrôlables.
L’absorbeur plasma est aussi plus compact que les solutions conventionnelles. Parce qu’il exploite la physique unique des métacouches plasmacoustiques, les scientifiques ont pu démontrer expérimentalement une parfaite absorption du son: «100% de l’intensité du son est absorbée par la métacouche et rien n’est renvoyé en retour», explique Hervé Lissek, maître d’enseignement et de recherche au groupe acoustique de l’EPFL. L’équipe montre aussi que l’on peut adapter les réflexions acoustiques, depuis la gamme des hertz jusqu’aux kilohertz, avec des couches de plasma transparentes, épaisses de seulement un millième de la longueur d’onde donnée – une dimension bien plus petite que les solutions conventionnelles de réduction de bruit.
Pour donner une idée de la compacité de l’absorbeur plasma, imaginez un son audible d’une basse fréquence de 20 Hz – soit une longueur d’onde de 17 mètres. La couche de plasma ne doit être large que de 17 millimètres pour absorber le bruit, alors que la plupart des solutions conventionnelles, comme les murs antibruit, devraient afficher une épaisseur de quatre mètres, ce qui limite souvent leur faisabilité.
«Contrairement aux atténuateurs de bruit conventionnels basés sur les matériaux poreux ou des structures résonnantes, l’aspect le plus extraordinaire de notre concept est sa nature éthérée, en quelque sorte. Nous avons découvert un mécanisme entièrement nouveau d’absorption phonique, que l’on peut faire aussi fin et léger que possible, et qui ouvre de nouveaux territoires en termes de contrôle du bruit là où l’espace et le poids sont importants, tout particulièrement à basses fréquences», explique Hervé Lissek.
L’EPFL s’est associée à Sonexos SA, une société suisse de technologie audio, pour développer des atténuateurs de bruit de dernière génération qui exploitent le concept des métacouches plasmacoustiques. Ensemble, les deux partenaires veulent fournir des solutions innovantes et efficaces pour réduire le bruit pour de nombreuses applications dans les secteurs automobiles, commerciaux, industriels ou directement chez les consommateurs.
«Cette collaboration stratégique tire parti de l’expertise de l’EPFL en sciences des matériaux et de l’acoustique, ainsi que l’expérience démontrée de Sonexos pour fournir des solutions audio de haute performance», explique Mark Donaldson, fondateur et président de Sonexos.