Une puce permet d'étudier la formation du biociment en temps réel
Des scientifiques de l'EPFL et de l'Université de Lausanne ont utilisé une puce initialement conçue pour les sciences de l'environnement afin d’étudier les propriétés de la formation du biociment. Ce dernier a le potentiel de remplacer les liants traditionnels du ciment dans certaines applications de génie civil.
La puce ressemble à une carte de crédit et a l’épaisseur d’un cheveu humain. Sa surface est dotée d'un canal d'écoulement mesurant un mètre, de bout en bout. Les scientifiques peuvent injecter une solution à l'une des extrémités du canal et, à l'aide de la microscopie time-lapse, observer le comportement de la solution pendant plusieurs heures. Le domaine médical utilise des puces microfluidiques similaires pour examiner comment les artères se bouchent ou comment un médicament se répand dans la circulation sanguine, tandis que celui de l’ingénierie en environnement les appliquent à l'étude des biofilms ou de contaminants dans l'eau potable.
Une équipe d’ingénieur·es civil·es de l’EPFL et de scientifiques de la Faculté des géosciences et de l'environnement de l’Université de Lausanne a eu l’idée d’y introduire différents types de biociments afin de comprendre les phénomènes complexes de transport et de réaction qui interviennent dans leur formation. Ariadni Elmaloglou, doctorante, et Dimitrios Terzis, l'un de ses directeurs de thèse, ont ainsi injecté les ingrédients principaux du biociment - le calcium et l’urée – dans la puce elle-même remplie de différents types de sable (marin, du désert, etc.) pour voir comment les minéraux se formaient et comment l'écoulement réagissait. «Grâce à la puce, nous avons pu observer les variations de la distribution de la masse de biociment dans les différents mélanges», explique Ariadni Elmaloglou, qui réalise sa thèse au Laboratoire de mécaniques des sols (LMS) de l’EPFL. «Par exemple, nous avons pu voir où les minéraux se sont formés et quels mélanges peuvent conduire à des propriétés mécaniques supérieures le long de l'écoulement. Grâce à ses volumes miniaturisés, la puce nous a permis de réaliser plusieurs expériences avec différents mélanges et, finalement, de concevoir des protocoles de biocimentation efficaces.»
Grâce à ses volumes miniaturisés, la puce nous a permis de réaliser plusieurs expériences avec différents mélanges et, finalement, de concevoir des protocoles de biocimentation efficaces.
Test sur un mètre de long
L’équipe de recherche vient de faire paraître son étude dans la revue Scientific Reports appartenant au portfolio de Nature. Elle est la première à avoir pu tester différents matériaux sur une longueur d’un mètre, qui est significative pour les usages potentiels du biociment, notamment, le comblement de failles, la séquestration de CO2 ou la dépollution de sols (voir encadré). Toutes leurs données ont été déposées en open source sur un site dédié, afin de favoriser la poursuite de la recherche dans ce domaine.
Au LMS, la prochaine étape du projet est déjà en marche. «L’usage de la puce facilite l’utilisation d’agrégats de matériaux recyclés, notamment de verre, de plastique et de béton concassé, pour remplacer le sable dans la fabrication du biociment», détaille Dimitrios Terzis. Une évolution qui participera à réduire le bilan CO2 du secteur de la construction, voire à le révolutionner, selon l’ingénieur. «L'industrie dépend toujours fortement du béton, même si les matériaux utilisés pour le fabriquer – notamment le sable – sont de plus en plus difficiles à trouver», souligne Dimitrios Terzis. «Cette étude montre que l’interdisciplinarité nous permettra de changer cela. Pour cela, il est essentiel de rester ouverts aux autres domaines de recherche.»
Pour sa thèse de doctorat réalisée au LMS, Dimitrios Terzis a mis au point un nouveau type de biociment fabriqué à partir de bactéries et d'urée. Le processus implique l'utilisation de cristaux de carbonate de calcium (CaCO3) pour lier les particules du sol entre elles, au lieu de clinkers de ciment. Le résultat est un matériau biosourcé, facile à utiliser, résistant et relativement peu coûteux par rapport aux liants actuels, notamment le ciment, la chaux et les résines industrielles. Les résines existantes peuvent devenir relativement instables à long terme, contaminer le sol avec des microplastiques ou des composés toxiques, et augmenter l'alcalinité des eaux souterraines à des niveaux supérieurs aux limites acceptables.
Le biociment mis au point par l'EPFL peut être produit sur place et à température ambiante, avec une faible consommation d'électricité. Les niveaux de biocimentation peuvent être adaptés au cas par cas. Si une petite quantité de CaCO3 est ajoutée, on obtient un résultat semblable au grès, donc suffisamment résistant pour supporter les contraintes de cisaillement induites par les tremblements de terre, qui peuvent conduire à la liquéfaction du sol. D'autres applications peuvent aider à résoudre les problèmes de stabilisation des pentes ou à restaurer des fondations existantes. Si l'on ajoute davantage de carbonate de calcium, on obtient un mélange qui peut être utilisé comme matériau de construction ou pour imperméabiliser les sols.
Pour commercialiser leur technologie, Dimitrios Terzis et le professeur Lyesse Laloui ont fondé en 2018 MeduSoil, une startup de l'EPFL. L'entreprise a déjà réalisé des démonstrations de leur matériau sur le terrain en Suisse et à l'étranger.