Une performance qui interroge l'opposition invention / imitation

© 2024 Yannis Rochat/EPFL

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Vendredi 17 mai le Rolex Learning Center a accueilli une performance musicale à deux pianos : l’un joué par le compositeur Richard Rentsch, l’autre par le programme d’intelligence artificielle (IA) SOMAX. Cette collaboration musicale et la table ronde qui a suivi ont exploré le type de collaboration possible entre deux entités productrices de musique lorsque l’une est humaine et l’autre une IA.


Cet événement intitulé Invention versus Imitation est une cocréation de Richard Rentsch et José Miguel Fernández, chercheur et compositeur à l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique (IRCAM) au sein duquel le logiciel SOMAX a été développé par l’équipe ‘RepMus dans le cadre du projet ERC REACH. Il fait partie d'un projet de plusieurs années sur la créativité que Richard Rentsch dirige à la Fondation Agalma à Genève.

Cette performance musicale s’inscrit dans le cadre du festival Les Culturelles, organisé durant une semaine par le Collège des Humanités. Elle dure approximativement 30 minutes et met en scène deux pianos : l’un joué par Richard Rentsch et l’autre contrôlé par SOMAX qui « improvise » de la musique pour accompagner le compositeur. Celle-ci est créée en temps réel et n'est pas préenregistrée. Personne, pas même Richard Rentsch et Fernández, ne connaît à l’avance la production de SOMAX.

« L’idée est d’étudier la manière d’improviser, comme le feraient deux musiciens, mais nous faisons ici l’expérience de l’improvisation entre un musicien humain et une machine » explique José Miguel Fernández.

La prestation est suivie d’une table ronde au cours de laquelle Richard Rentsch et José Miguel Fernández sont rejoints par le psychanalyste François Ansermet, le professeur en sciences de l’information et de la communication Franck Renucci, la neuropsychiatre Valeria Vianello Dri et le philosophe Claude Welscher. L’ensemble des participant·es explorent les questions soulevées par la représentation. Deux étudiant·es en computer science de l’EPFL partagent également leur analyse de la performance.

« C’est une première étape » explique Richard Rentsch qui travaille depuis de nombreuses années sur la nature de la créativité. « Lors de cette performance, nous utilisons la musique afin de nous interroger sur les rapports entre invention et imitation ».

Un duo entre humain et machine

Au cours de la représentation, Richard Rentsch interprète trois pièces de musique : une de ses propres compositions, une improvisation sur un standard de jazz et une improvisation complète. Le piano doté de l’IA réagit à chaque morceau, et pour le dernier, Richard Rentsch et SOMAX s’engagent dans un duo.

SOMAX n’est pas une IA générative telle que ChatGPT. José Miguel Fernández la qualifie de “pseudo-intelligence artificielle » puisqu’elle n’utilise pas de réseaux de neurones profonds. À la place, SOMAX dispose d’une mémoire constituée à partir de l’écoute d’enregistrements du jeu de Richard Rentsch lors de précédentes prestations. Le logiciel mobilise les statistiques afin d’évaluer les probabilités de proximité des notes, par exemple, s’il joue un Sol, il est plus enclin à enchaîner avec un Ré. Et SOMAX répondra de manière similaire à partir de sa mémoire.

Tout au long de cette performance, José Miguel Fernández est sur le côté de la scène pour surveiller et contrôler l’IA en ajustant différents paramètres, notamment les temps musicaux et silencieux du piano de SOMAX.

« Il y a toujours besoin de quelqu’un pour interagir avec le logiciel et jouer le rôle d’interprète, » souligne-t-il, « car pour le moment, celui-ci n’est pas assez intelligent pour s’adapter par lui-même ».

« Nous devons changer de paradigme »

La plupart des débats autour de l’IA tournent autour de la question du bien ou du mal de cette technologie. Pour Richard Rentsch et José Miguel Fernández, ce qui prime dans cet événement, c’est la complexité des problèmes qui sont posés. Richard Rentsch insiste sur le fait que la performance n’a pas vocation à opposer humain et machine.

« Nous devons changer de paradigme », appuie Richard Rentsch. « Je ne souhaitais pas une énième soirée autour de la question “pour ou contre l’IA ?”. Nous devons plutôt nous concentrer sur le résultat. » Le compositeur ne veut pas que l’événement serve simplement de comparaison entre l’humain musicien et la machine ; il perçoit la création de SOMAX comme une chose à part entière.

Richard Rentsch souligne en sus l’importance de réaliser cette « expérience » dans le cadre d’un concert en direct avec un public, car un spectacle est un système ouvert en raison de multiples variables pouvant modifier l’expérience tels que la lumière, l’espace, la température et bien entendu, l’auditoire lui-même.

« Quiconque souhaite interroger ce système est le bienvenu », ajoute-t-il.

Dans l’ensemble, la performance pose probablement plus de questions qu'elle n'apporte de réponses, ce qui, pour Richard Rentsch, est précisément le but. « Cela ouvre une multitude de questions à propos de l’être humain », conclut-il. « Qu’est-ce qui fait de nous une espèce singulière ? Qu’avons-nous d’unique ? Quelle est l’importance du corps ? Qu’est-ce que la créativité ? Qu’est-ce que l’intelligence ? La machine est-là pour nous interroger. »

Invention versus Imitation

Forum du Rolex Learning Center, EPFL
17 Mai, 18h30
Performance: 30-40 minutes
Table-ronde: 60 minutes
Entrée libre

Traduit de l'anglais par Yohann Guffroy


Auteur: Stephanie Parker

Source: Collège des humanités | CDH

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