Une passion commune pour la communication scientifique
Elles sont les meilleures ambassadrices de l’EPFL auprès de la relève. A l’occasion de la Journée internationale des femmes et filles de science, rencontre avec quatre jeunes femmes inspirantes pour les scientifiques de demain.
Les chiffres sont impressionnants. Size Matters, la chaîne YouTube d’Anna Morales Melgares, possède plus de 90'000 abonnés, son compte Twitter plus de 27'000 et sa page Instagram 16'000. Assistante-doctorante dans deux laboratoires des facultés STI et SB et effectuant des allers-retours fréquents au Paul Scherrer Institute, la jeune Catalane prépare une thèse sur les matériaux, avec un focus sur les émissions carbone du ciment. Elle est en même temps une star montante de la communication scientifique dans son pays, à travers ses vidéos consacrées non seulement aux nanotechnologies mais aussi à des sujets follement éclectiques, faisant le lien entre science et culture pop : mangas, Marvels, jeux vidéo... son univers est coloré et déjanté, raconté avec un débit rapidissime et une connaissance pointue de ses sujets.
«Pour moi la vidéo est un moyen de réunir les choses que j’aime : la science, le dessin, la photo et la musique. En plus les résultats sont immédiats : une fois que vous avez fini une vidéo, vous pouvez passer à autre chose. Ce n’est pas comme une thèse, qui prend quatre ans!»
Comment arrive-t-elle à mener toutes ses activités de front? «Je ne sors qu’une vidéo tous les deux mois environ, et j’y passe en général 40 à 60 heures d’affilée pendant un weekend ou deux», explique la jeune femme.
Fille dans un monde d’hommes
Chaque sortie d’une nouvelle vidéo et chaque post sur les réseaux sociaux sont suivis d’une avalanche de commentaires enthousiastes. «Etant une fille dans un domaine très masculin et parlant de sujets qui intéressent surtout les hommes, cela a attiré l’attention. Il n’y a que 15% environ de femmes qui me suivent, mais elles commentent proportionnellement davantage», raconte la YouTubeuse.
Selon elle, ce type de communication scientifique touche surtout des personnes qui sont déjà intéressées. Cependant, le fait qu’elle les aborde aussi d’un point de vue artistique aide à atteindre un nouveau public.
Petite, elle-même aimait suivre un programme de télé intitulé ¿Qué, Quién, Cómo (Quoi, Qui, Comment?). Pour que les filles se sentent davantage attirées par les sciences, elle pense qu’il faudrait surtout plus de représentations féminines dans les médias ou le divertissement.
On peut suivre l’augmentation des filles dans les filières scientifiques et techniques depuis le moment où des séries comme X-Files ou Bones sont apparues.
Son message aux jeunes filles qui hésitent à se lancer dans une carrière scientifique? «Il y a toujours de la misogynie, dans quelque domaine que ce soit, mais cela ne devrait pas vous retenir. La vie est courte, faites ce que vous aimez et n’ayez pas peur des hommes!»
Neurosciences, podcasts et cochons d’Inde
La misogynie n’est pas un problème dont a souffert Galina Limorenko, assistante-doctorante au Laboratoire de neurobiologie moléculaire et neuroprotéomique en faculté SV: «Les questions de genre n'ont pas joué un grand rôle pour moi, beaucoup moins que le fait d'être neuro-atypique. Je suis sûre qu'il y a dû y avoir quelques micro-agressions - c'est quelque chose que j'ai appris à identifier - mais en général, je suis plutôt bonne pour désamorcer les situations afin qu'elles ne m'affectent pas.»
A côté de ses recherches sur les troubles neurodégénératifs, elle aime partager sa passion pour la science avec un public plus large. Notamment par le biais de podcasts qu'elle publie à un rythme effréné (parfois jusqu'à trois parutions dans la même semaine) sur la chaîne New Books Network, comptant plus de 25’000 téléchargements mensuels.
Galina y interviewe des scientifiques et des auteurs ou autrices d'ouvrages de vulgarisation, et a ainsi constitué une collection diversifiée de sujets allant des neurosciences à la psychologie, de la santé à l’évolution, en passant par l’écologie, le management, la démographie et plein d’autres.
Si je ne sais presque rien du sujet, ce livre est un candidat certain pour mon émission !
Galina participe aussi à d'autres projets tels que le festival Pint of Science, et a également écrit quelques articles pour le journal en ligne The Skeptic sur la vulgarisation scientifique, les droits humains et la neurodiversité, un sujet qui la concerne particulièrement en tant qu’autiste à haut niveau de fonctionnement.
Galina explique aussi sa formidable capacité de travail en partie par son autisme - l'hyperfocalisation, l'attention aux détails: «Pour moi la discipline et un emploi du temps bien rempli sont très importants, et lire - ou écouter - autant de livres n'est pas une tâche, c'est un plaisir», assure la jeune chercheuse. Un plaisir qu’elle combine le soir avec un entraînement à la course d'endurance, ou qu’elle partage avec ses quatre cochons d'Inde – «une excellente compagnie!», ajoute-elle. «Pour moi, les situations sociales sont un peu difficiles, mais je passe aussi du temps avec mes amis en ligne dans des chats vocaux et vidéo. Et il y a toujours de nouveaux projets passionnants sur lesquels se concentrer, donc en dehors de ma thèse, c'est à cela que va tout mon temps libre.»
Son conseil à elle pour les filles attirées par les sciences? «N'intériorisez pas la négativité des stéréotypes, ou de tout autre stéréotype d'ailleurs! Soyez vous-même, faites ce que vous aimez vraiment, essayez différentes choses, ne perdez pas de vue vos valeurs... Et cultivez la communauté de soutien où vous pouvez explorer, collaborer et inventer!»
Etudiante et déjà mentore
Avec un papa ingénieur, employé à l’EPFL, et entourée de 3 sœurs, Gonxhe Idrizi, étudiante en master de Data Science, n’a jamais ressenti non plus d’obstacles dans son intérêt pour les disciplines scientifiques. Elle mentionne par ailleurs l’impact qu’ont eu sur elle les nombreux cours, ateliers, camps et concours auxquels elle a participé depuis l’âge de 9 ans. Pour elle c’était très logique de continuer dans un domaine lié aux maths.
C’était sûr que j’allais finir en sciences. Et le fait de voir autant de filles durant ces activités m’a montré que j’avais ma place là-dedans.
Au dernier semestre, elle a à son tour joué le rôle de la mentore, en participant au cours Internet et Code pour les Filles. Et cette semaine, elle est intervenue pour la première fois comme assistante-étudiante aux journées Femmes et Filles de Science organisées par le CERN, le Scienscope de l'UNIGE et l'EPFL, pendant lesquelles des femmes scientifiques ou ingénieures viennent parler de leur métier à des élèves de 7 à 15 ans.
Ce qu’elle a envie de dire aux enfants, c’est: «On vous force un peu à faire des maths quand vous êtes petits, mais il y a une raison derrière ! Et la raison, elle est sympa : regardez, on peut par exemple créer un robot, ça peut venir en aide à tout le monde!»
Architecte et médiatrice
Et si les maths peuvent devenir une vocation, la promotion des sciences aussi! Anna Pontais, médiatrice scientifique à l’EPFL, était étudiante en architecture quand elle a commencé, comme Gonxhe, à collaborer avec le Service de promotion des sciences. D’abord pour le cours Les maths… ça m’intéresse! destiné aux filles des classes de 9H à 11H (12-15 ans), puis ensuite pour la semaine Femmes et Filles de Science organisée autour de la journée internationale du 11 février.
Son master en poche, elle n’a plus quitté le service et dit adorer son travail, notamment les collaborations avec Archizoom et les camps d’été où elle fait découvrir la construction à des jeunes filles: «Toujours des moments super agréables, cela m’apporte beaucoup!».
A la fin des trois ans de cours de maths qu’elle a accompagnés, elle se souvient avoir entendu des filles dire «Merci d’avoir organisé ses cours, si je n’étais pas venue je n’aurais pas eu assez de confiance pour m’inscrire en maths renforcés ou aller vers des études scientifiques.»
«Cela nous encourage encore plus. C’est tout un mouvement dont je suis heureuse de faire partie», dit la médiatrice, soulignant l’importance des rôles-modèles, et se réjouissant de l’évolution en cours: «Il y a encore des stéréotypes. Mine de rien les adultes et la société en général véhiculent encore ça auprès des enfants. Mais ce qui est en train de changer, c’est l’image des scientifiques. La technologie a rendu ces métiers plus cools. Internet et les réseaux sociaux ont contribué à propager cette image. Les enfants sont friands d’expériences et ne se cachent plus d’aimer ça.»
Cools, ces quatre jeunes femmes passionnées et rayonnantes le sont assurément. Et au fait, elles partagent un autre point commun: toutes se souviennent très nettement d’une ou plusieurs enseignante(s) femme(s) dans les matières scientifiques lors de leur parcours scolaire. Un hasard?