Une nouvelle forme pour dompter le plasma

© 2025 EPFL / Laboratory for Experimental Museology (EM+)
Ne brûlez pas le mur! Cette mise en garde résume l’un des grands défis de la fusion: protéger les parois du réacteur face à l’intense chaleur du plasma. Des physiciens de l’EPFL proposent aujourd’hui une approche innovante pour surmonter cet obstacle majeur. En modifiant la configuration magnétique à l’intérieur d’un tokamak, ils ont mis en évidence une nouvelle forme de rayonnement du plasma. Cette découverte pourrait offrir un moyen plus fiable de contrôler la puissance d’échappement de la fusion. Les résultats viennent d’être publiés dans Physical Review Letters et mis en lumière par le magazine APS Physics.
L’énergie de fusion, générée par la fusion de noyaux atomiques libérant une immense quantité d’énergie, représente une source potentielle d’électricité propre, abondante et durable. L’approche principale pour produire cette énergie repose sur des dispositifs appelés tokamaks. Il s’agit de réacteurs en forme de donut utilisant de puissants champs magnétiques pour confiner des gaz de particules chargées, appelés plasma, à des températures avoisinant les 100 millions de degrés Celsius. ITER, le réacteur expérimental international actuellement en construction, sera le plus grand tokamak du monde. Il est destiné à démontrer la faisabilité de la fusion magnétique.
L’un des principaux défis de la fusion est de protéger les parois du réacteur des interactions avec un plasma surchauffé, qui peut localement générer des flux de chaleur dépassant l’intensité de la surface du Soleil. Les chercheurs de l’EPFL ont maintenant démontré expérimentalement une nouvelle configuration qui améliore considérablement la gestion de la puissance dans un tokamak et permet de dompter ces conditions extrêmes.

«Nous explorons des formes magnétiques alternatives pour le canal d’échappement du plasma - appelé le diverteur - afin d’optimiser la dissipation de l’énergie thermique du plasma sous forme de rayonnement réparti de manière uniforme, réduisant ainsi les charges thermiques localisées sur les parois du réacteur», explique Kenneth Lee, doctorant au SPC de l’EPFL et auteur principal de l’article publié dans Physical Review Letters.
Le point X est un endroit du tokamak où le champ magnétique s'étend uniquement dans la direction toroïdale
L’expérience sur le tokamak TCV à l’EPFL, réputé pour sa grande flexibilité dans la création de configurations plasma variées, constitue une plateforme essentielle pour tester ces géometries alternatives de diverteur et soutenir le développement de futures centrales à fusion comme le projet européen DEMO.
L’équipe a découvert la formation spontanée d’une région fortement radiative nommée «le radiateur cible du point X» positionnée stratégiquement entre le plasma principal et la paroi du réacteur. «Le point X est un endroit du tokamak où le champ magnétique s'étend uniquement dans la direction toroïdale», explique Kenneth Lee. «L’idée est que les particules du plasma parcourent de plus longues distances et entrent plus souvent en collision avec des espèces neutres ou ionisées avant d’atteindre la paroi du réacteur, ce qui permet un «refroidissement» par rayonnement».
Grâce à la flexibilité de TCV, la création d’un second point X est réalisable de manière routinière
Traditionnellement, un seul point X est généré à l’aide de bobines externes, formant la limite du plasma dans une configuration "dérivée" pour évacuer l’énergie et les particules. «Nous avons voulu voir si une zone radiative se formerait si l’on plaçait un second point X le long de la jambe du divergeur, suffisamment éloigné du cœur de fusion », poursuit Kenneth Lee. «Grâce à la flexibilité de TCV, la création d’un second point X est réalisable de manière routinière».

La radiation du second point X- appelée le radiateur cible du point X (XPTR ou X-Point Target Radiator en Anglais) - a été observée avec succès sur TCV. À l’aide du système d’imagerie spectrale avancé MANTIS, les chercheurs ont capturé des images de l’émission du plasma, comparant la forme classique du divergeur à la nouvelle configuration. Le XPTR apparaît comme un anneau lumineux situé au centre de la chambre inférieure du tokamak, créé par le second point X. «Dans des conditions plasma identiques, nous avons observé une réduction de 80 % du flux de chaleur maximal sur la paroi par rapport à la forme conventionnelle », ajoute Kenneth Lee.
Nous avons observé une stabilité exceptionnelle sur une large gamme de conditions plasma
Un régime radiatif similaire près du plasma principal avait déjà été démontré, mais ses effets sur sa performance et sa stabilité restent incertains. La nouvelle démonstration du XPTR semble contourner ces problèmes. «Nous avons observé une stabilité exceptionnelle sur une large gamme de conditions plasma, sans affecter négativement les performances du plasma principal ni induire d’instabilités perturbatrices. Cela améliore grandement notre capacité à contrôler cet état de plasma pour une gestion sûre de la puissance», déclare le professeur Christian Theiler, responsable du groupe "Plasma de bord" de TCV.
Ces résultats ont des implications majeures pour la communauté mondiale de la fusion. «Certains futurs réacteurs, comme SPARC et ARC, prévoient d’intégrer cette configuration avec un deuxième point X dans leur conception de base, ce qui rend nos résultats à la fois opportuns et cruciaux», note Kenneth Lee. «Mettre en œuvre cette nouvelle géométrie dans les réacteurs pose des défis techniques, mais les avantages significatifs que nous avons identifiés pourraient fortement motiver son adoption, et ainsi façonner l’apparence des réacteurs à fusion de demain».
K. Lee et al. (Équipe TCV et Équipe EUROfusion Tokamak Exploitation), «Point Target Radiator Regime in Tokamak Divertor Plasmas», Phys. Rev. Lett. 134, 185102 (2025). DOI: 10.1103/PhysRevLett.134.185102
«Preventing a Tokamak from Overheating», Physics 18, s60 (2025).