Une molécule qui suit un médicament à la trace dans le sang

Un modèle 3D d'une molécule LUCID © Kai Johnsson/EPFL

Un modèle 3D d'une molécule LUCID © Kai Johnsson/EPFL

Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point une molécule qui détermine rapidement le taux de substances pharmaceutiques présentes dans le corps d’un patient. Leur start-up devrait bientôt permettre un suivi thérapeutique personnalisé sur le lieu même du traitement.


Le contrôle régulier du taux de médicaments présent dans le corps d’un patient est essentiel pour un traitement efficace, surtout en cas de cancers, de maladies cardiaques, d’épilepsie et d’immunosuppression suite à une transplantation d’organe. Les méthodes actuelles sont toutefois onéreuses, prennent beaucoup de temps et requièrent un personnel spécialisé ainsi qu’une infrastructure séparée du lieu de soins. Or, un article de Nature Chemical Biology annonce que des chercheurs de l’EPFL ont désormais mis au point des protéines-senseurs électroluminescentes, qui indiquent avec rapidité et simplicité quel est le taux de médicament présent dans le sang d’un patient simplement en changeant de couleur.. Cette méthode est si simple que même les patients pourront l’utiliser.

Un traitement thérapeutique adapté dépend d’un bon équilibre entre efficacité et toxicité médicamenteuses, clé de voûte d’une médecine personnalisée. Cependant, chaque individu est différent. Un contrôle permanent est donc indispensable afin de mieux personnaliser le dosage des substances et éviter tout effet secondaire ou empoisonnement. Les méthodes de suivi actuelles nécessitent un personnel spécialisé et des équipements onéreux. De plus, elles doivent être mises en œuvre dans des laboratoires de diagnostic éloignés du lieu de traitement du patient. Des techniques rapides et économiques pourraient améliorer les prises en charge à l’hôpital ou à la maison, particulièrement dans des zones à l’infrastructure médicale limitée.

Avec un simple appareil-photo

L’équipe de Kai Johnsson de l’EPFL a développé une nouvelle molécule biosensitive, qui ne requiert rien d’autre qu’un appareil-photo numérique. Cette molécule est le produit d’une ingénierie protéique et chimie organique révolutionnaires, et marche avec les traitements usuels contre le cancer, l’épilepsie et l’immunosuppression.

Cette molécule-senseur se lie au médicament circulant dans le sang du patient et modifie sa couleur en conséquence. Elle est constituée de quatre composants. L’un d’eux est une protéine réceptrice, capable de se lier aux molécules du médicament cible. Le deuxième est une petite molécule similaire à ce dernier, qui se rattache au récepteur médicamenteux. Le troisième est une enzyme émettrice de lumière nommée luciférase. Le quatrième est une molécule fluorophore, qui change la couleur émise par la luciférase lorsqu’elle s’en approche.

Lorsqu’il n’y a pas de substance aux alentours, le récepteur et la molécule semblable au médicament se lient. Cela rapproche le fluorophore de l’enzyme luciférase, si bien que le système produit une lumière rouge. Si un médicament est toutefois détecté, par exemple dans le sang d’un patient, ses molécules se lient plus efficacement au récepteur et «poussent» la molécule qui lui ressemble loin de lui. La molécule-senseur s’ouvre, éloignant ainsi le fluorophore de la luciférase. Résultat: la lumière émise passe graduellement du rouge au bleu proportionnellement à la concentration de médicament.

Le médecin et le patient peuvent facilement obtenir un signal en déposant un échantillon de sang sur un bout de papier, en le plaçant dans une boîte noire et le photographiant avec un appareil photographique conventionnel. Le cliché peut ensuite être analysé au moyen d’un logiciel qui mesure les couleurs et génère une mesure moyenne. En comparant cette valeur à une courbe standard de concentration médicamenteuse, il est ensuite aisé de calculer le taux de médicament présent dans le sang d’un patient. La molécule-senseur peut être virtuellement utilisée avec tout type de traitement, car elle ne requiert que le changement de la protéine réceptrice et de la molécule semblable au médicament.

Des tests concluants

Les scientifiques de l’ EPFL ont baptisé cette nouvelle classe de biosenseurs LUCID, pour «LUCiferase-based Indicators of Drugs». Afin de tester leur sensibilité, ils en ont développé pour six médicaments disponibles dans le commerce, dont trois immunosuppresseurs, un antiépileptique, un antiarythmique, et un anti-cancer. Tous ont été testés avec succès in vitro, l’anti-cancer ayant également fait ses preuves sur des échantillons de plasma sanguin humain. Le signal des six LUCID s’est révélé précis et stable sur une durée de dix minutes.

«Ce système offre une solution efficace et bon marché pour personnaliser le dosage des médicaments de patients atteints de diverses maladies», explique Rudolf Griss, l’un des auteurs de cette étude. Les résultats obtenus l’ont incité, ainsi que son coauteur Alberto Schena, à développer une start-up pour rationaliser et commercialiser cette invention innovante. «Nous pensons à un détecteur simple, tenant dans la main, et permettant au patient de prélever facilement un peu de sang au bout de son doigt afin d’obtenir une lecture immédiate du taux de médicament dans son corps. Un peu comme le font les diabétiques avec le glucose .»
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Cette étude est une collaboration entre le Laboratoire d’ingénierie des protéines de l’EPFL, le Pôle de recherche national (NCCR) en biologie chimique, le Laboratoire de chimie clinique (service de biomédecine) du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV), qui a fourni les échantillons de plasma, et le Département de biochimie de l’Université de Washington.

Source

Griss R, Schena A, Reymond L, Patiny L, Werner D, Tinberg CE, Baker D, Johnsson K. Bioluminescent sensor proteins for point-of-care therapeutic drug monitoring. Nature Chemical Biology DOI: 10.1038/nchembio.1554



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Réaction LUCID sans médicament (rouge) et avec médicament (bleu) © 2014 EPFL
Réaction LUCID sans médicament (rouge) et avec médicament (bleu) © 2014 EPFL
© 2014 EPFL
© 2014 EPFL
Un modèle 3D d'un molecule LUCID © 2014 Kai Johnsson/EPFL
Un modèle 3D d'un molecule LUCID © 2014 Kai Johnsson/EPFL

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