«Une manière de créer des cours qui est juste géniale»

Baptiste Lecoeur et Johan Rochel - 2023 EPFL/Alain Herzog  - CC-BY-SA 4.0

Baptiste Lecoeur et Johan Rochel - 2023 EPFL/Alain Herzog - CC-BY-SA 4.0

Johan Rochel et Baptiste Lecoeur ont formé un «tandem» enseignant-étudiant dans le cadre d’un cours sur l’éthique en matière d’intelligence artificielle. Un concept d’enseignement soutenu par la Vice-présidence pour la transformation responsable de l’EPFL.

Ils se ressemblent un peu malgré vingt ans d’écart, mais leur background respectif ne les destinait pas vraiment à se rencontrer. Durant le semestre d’automne 2023, Johan Rochel et Baptiste Lecoeur ont étroitement collaboré dans la conception d’un cours de Master de la Section des humanités digitales très prisé par les étudiantes et étudiants de plusieurs sections de la Faculté informatique et communications.

Docteur en droit et philosophe, Johan Rochel est chargé de cours, rattaché au Collège des humanités de l’EPFL, et cofondateur du cabinet de conseil Ethix à Zurich, spécialisé en droit et éthique de l'innovation. Etudiant en 2e année de Master en Data science, Baptiste Lecoeur est également connu comme co-président actuel de l’AGEPoly, l’association générale des étudiantes et étudiants de l’EPFL.

Une quinzaine de tels «tandems» ont été formés au cours des derniers mois, pour des enseignements aussi variés que les matériaux ou la physique, par exemple, ou la conception d’un nouveau cours sur les énergies et le climat. L’objectif est double: offrir un soutien aux enseignantes et enseignants qui désirent apporter plus de durabilité dans leur cours, et permettre aux étudiantes et étudiants de contribuer concrètement à la transformation de l’enseignement tout en étant rémunérés. «Je pense que ce modèle est également intéressant au-delà de l'éducation à la durabilité», estime Jacopo Grazioli, chef de projet éducation au sein de l’unité Durabilité qui a initié ces tandems.

Dans le cadre de l’éthique en intelligence artificielle, sujet de ce nouveau cours de Master, quelle est en fait la place de la durabilité?

«Avec l’éthique, on est dans les trois dimensions de la durabilité: économique, sociale et environnementale. Une seule séance a été consacrée à l’impact de l’IA sur la consommation d’énergie et l’épuisement des ressources. Mais quand on parle de types de données utilisées à des fins d’entraînement des outils d’IA, ou de design et de manipulation, de transition technologique, vous avez partout une dimension de durabilité», détaille Johan Rochel.

On veut une IA qui permette de répondre à certains enjeux, par exemple économiques, mais elle se fait à un certain coût environnemental et social. Comment gérer l’arbitrage entre ces différents aspects?

Johan Rochel, chargé de cours au CDH

L’enseignant ajoute: «Et bien sûr, sur toutes les questions de justice, d’impact sur le monde du travail, les interactions sociales, l’accès aux technologies, les inégalités provoquées par les technologies, on peut aussi ajouter une dimension de questions environnementales au sens strict. Du point de vue éthique, ce qui est intéressant, c’est quand il y a des arbitrages à réaliser entre des objectifs différents: on veut une IA qui permette de répondre à certains enjeux, par exemple économiques, mais elle se fait à un certain coût environnemental et social. Comment gérer l’arbitrage entre ces différents aspects?»

Inquiets de l’avenir

Pour Baptiste Lecoeur, l’engagement en faveur de la durabilité va de soi: «La grande majorité des étudiants est inquiète de l’avenir, et nous avons tendance à être ouverts sur les questions de société. Quand on fait de la recherche ou de l’ingénierie, c’est normal. Les gens vont travailler sur des techniques et des produits qui auront un impact sur la société et l’environnement.»

Il poursuit: «Mais il y a d’autres préoccupations que l’aspect purement environnemental. Pour l’instant l’IA n’est pas régulée, et on sait que le droit prend beaucoup plus de temps que la technologie pour se développer. On commence à avoir des outils qui sont utilisés par le grand public de manière super large sans avoir eu de régulation.»

Selon l’étudiant, l’un des intérêts du cours est dans son ouverture sur de nouveaux questionnements: «Je pense que les gens à l’EPFL ont tendance à ne pas forcément chercher à comprendre comment le monde qui les entoure fonctionne, au-delà des aspects scientifiques. Ici on est dans le pluridisciplinaire, à l’interaction entre le scientifique et le sociétal.»

Et l’enseignant de confirmer: «Je pensais que les étudiants avaient plus de connaissances de base sur comment la Suisse ou l’UE fonctionnent au niveau politique, la répartition des pouvoirs, etc. En 2024 je mettrai plus l’accent sur la compréhension des institutions politiques qui sont au cœur de ces efforts de régulation.»

«Un bon test»

Le compagnonnage de Johan Rochel et Baptiste Lecoeur les a visiblement enchantés. «Depuis le début du cours en septembre, on s'est vu chaque semaine avec Baptiste pour préparer les slides, explique l’enseignant. Je faisais une proposition et Baptiste les commentait, les améliorait, aussi pour l’aspect mise en page, en cherchant des idées et des ressources. Si les slides ne tenaient pas, s’ils étaient trop théoriques ou nécessitaient un autre exemple, c’était un bon test.»

L’assistant a apprécié quant à lui le format du cours, différent des approches classiques en data sciences: «Ce qui est vraiment génial, c’est que la partie exercice est très orientée sur le travail en petits groupes. Les gens discutent entre eux et c’est la première fois que je vois ça à l’EPFL en quatre ans. C’est dingue qu’on ne se soit jamais posés en groupe pour discuter de sujets qui ne sont pas purement techniques. C’est une énorme plus-value de ce cours, car c’est quelque chose qui n’est pas fait ailleurs.»

La partie exercice est très orientée sur le travail en petits groupes. Les gens discutent entre eux et c’est la première fois que je vois ça à l’EPFL en quatre ans.

Baptiste Lecoeur, étudiant de Master en Data science

«Les gens disent que l’EPFL est géniale pour résoudre des problèmes, mais pour les compétences purement humaine – le management, parler avec des personnes, etc. – c’est plus compliqué. Les étudiants doivent combler ces lacunes, et c’est cool d’arriver à développer de telles bases dans ce cours!», constate Baptiste Lecoeur.

Bouche à oreille

La collaboration entre l’enseignant et l’étudiant a pris fin au terme du semestre. Elle aura contribué à rendre le cours plus percutant et à affiner certains aspects, un atout certain pour la poursuite de cet enseignement à l’EPFL. Les deux estiment en effet que le fonctionnement de leur tandem a permis de mieux prendre en compte le feedback des participants, plus enclins à se parler entre pairs.

«C’est une manière de créer des cours qui est juste géniale, conclut Baptiste Lecoeur. Le problème, c’est que les étudiants sont assez cruels. Quand un cours est nouveau et qu’il n’est pas jugé bon dès le début, les étudiants se le disent, et du coup les gens ne le prennent pas. Si ce dialogue permet d’arriver le plus vite possible à un format qui convienne, et que les gens disent ‘C’est du jamais vu !’, ça permet d’avoir plus de monde l’année suivante. Le bouche à oreille est le mode de communication le plus efficace!»


Auteur: Emmanuelle Marendaz Colle

Source: Vice-présidence pour la transformation responsable (VPT)

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