Une «maison» écologique qui pousse toute seule

EPFL/ iStock

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[POISSON D'AVRIL!]
Le mariage improbable de la mycologie, de la génomique et de l’architecture a permis à une chercheuse de l’EPFL de développer une technique automatisée de construction de bâtiments – qui plus est à bilan carbone négatif. 

La chercheuse en techniques de la construction durable à l’EPFL l’avoue volontiers: «Au niveau des lignes architecturales, on est encore davantage chez Gaudí ou Hundertwasser que chez Libeskind». Frieda Steinpilz n’en demeure pas moins persuadée que sa technique est promise à un bel avenir.

Les faits parlent en sa faveur. Pour édifier ses bâtiments, elle n’a besoin que d’une petite poudre et d’un peu d’eau. Pas n’importe quelle poudre, certes. «J’avais été stupéfaite de voir le matériau que des étudiants de l’EPFL étaient parvenus à réaliser en conduisant la croissance de mycélium à travers des formes», explique Frieda. Ses connaissances en biologie et en génie génétique – elle est déjà titulaire de deux doctorats et développe ce projet dans le cadre d’un troisième – lui ont donné l'ambition de pousser à son paroxysme la transdisciplinarité si chère à l’EPFL.

Un plan inscrit dans les gènes

Son idée: plutôt que de contraindre mécaniquement la croissance des champignons, elle réécrit le génome des cellules-souches du mycélium afin de lui faire adopter la forme souhaitée. «J’ai dû apprendre à décoder l’ADN de ces champignons, comprendre précisément quels allèles avaient quelle fonction», précise-t-elle.

Ses premiers essais ont abouti à la croissance de grosses truffes informes. Patiemment, à coups de «ciseaux génétiques» de la technologie CRISPR-Cas9, elle a pu voir pousser des formes de plus en plus maîtrisées. «Aujourd’hui je suis capable de leur faire prendre la forme de blocs plus ou moins rectilignes, d’une épaisseur de 30 centimètres, précise Frieda. J’ai encore dû intégrer des gènes Hox – ces gènes dits architectes, qui pilotent la fin du développement d’un organe – pour que mes “murs” s’arrêtent de croître au moment voulu, ou se mettent à partir à l’horizontale pour constituer les dalles. Enfin, j’ai ajouté quelques gènes issus des coraux afin qu’une structure de calcaire prenne forme à l’intérieur des champignons, ce qui les renforce». Autre atout : ce «squelette» consomme, pour se former, une grande quantité de CO2 atmosphérique – ce qui fait de ces maisons de véritables puits de carbone.

Une villa en moins de deux mois

Son prototype, qu’elle a fait pousser sur le campus de l'EPFL avant de le faire transporter dans un camping de la région, est un modeste deux-pièces-cuisine de 32 m2. Elle y passe désormais l’essentiel de son temps libre et assure que la qualité de vie y est formidable. A terme, selon la chercheuse, il ne sera pas difficile de multiplier des instructions de bifurcation pour obtenir des bâtiments plus complexes, sur plusieurs étages. Moyennant un sol suffisamment riche, Frieda Steinpilz estime que la croissance d’une villa ne devrait prendre que de 3 à 4 semaines, à quoi s’ajoutent deux semaines de stabilisation par séchage, après arrêt de l’arrosage. «Évidemment, les portes et les fenêtres ne poussent pas toutes seules», précise-t-elle dans un sourire. Mais sa technique promet néanmoins un gain considérable de temps et de ressources pour le gros-œuvre.

Encore des défis

Deux petits écueils devront toutefois encore être surmontés. Tout d’abord, si la déshydatation met bel et bien la croissance de la maison au repos, une forte pluie est susceptible de déclencher la pousse d’un nouvel étage. «Cela risque de poser des problèmes de procédure, car les règlements de constructions limitent généralement le nombre de niveaux», anticipe la chercheuse.

En outre, le champignon architecte, même séché, garde une odeur relativement prononcée. «C’est entre la truffe et la morille, précise-t-elle. Personnellement j’aime bien, mais je comprends que ça pourrait devenir lassant à long terme. Le grand avantage, c’est que le champignon est comestible : il suffit de gratter un bout de mur pour parfumer un mets. C’est délicieux sur des tagliatelle al salmone