Une machine à trier les œufs de poissons-zèbres
Génétique, biologie du développement, toxicologie : l’utilisation des œufs de poissons-zèbres devient un standard pour la recherche. Le dispositif de la spin-off Bionomous trie ces embryons en quelques minutes au lieu des heures habituellement nécessaires.
Le poisson-zèbre ne fait que quatre ou cinq centimètres de long et sa ressemblance avec l’humain n’est pas évidente, pourtant 70% de ses gènes trouvent un équivalent dans notre corps. Cette caractéristique biologique, alliée notamment à l’abondance et à la transparence de ses œufs, fait de ce petit cyprinidé d’eau douce un objet d’étude extrêmement intéressant. Il a connu une forte croissance ces dernières années pour des recherches sur les maladies génétiques comme la myopathie, la propagation du cancer ou Alzheimer, de même que pour le développement de nouveaux médicaments ou des tests toxicologiques. Seul point d’achoppement de ce nouvel organisme-modèle : le tri. Sélectionner à l’aide d’un microscope les œufs sains, propres à la recherche, relève de la besogne. Une spin-off de l’EPFL, Bionomous, allie microtechnique et intelligence artificielle pour faire passer cette sélection de plusieurs heures à quelques minutes. Forte d’une première levée de fonds en début d’année, elle prépare l’arrivée de son appareil sur le marché cet automne alors qu’une version d’une capacité supérieure est en préparation pour faciliter le tri d’autres petits organismes comme des œufs d’autres espèces et des graines.
Adapté aux poissons fluorescents
La mise au jour des avantages du poisson zèbre pour la recherche date d’une vingtaine d’années. Depuis, de nombreux instituts de recherche, à l’image de l’EPFL, se sont dotés d’un centre d’élevage dédié. « Un des avantages majeurs de cet animal est qu’il se développe en dehors de la mère dès les premiers stades de vie, ce qui rend l’étude de ce modèle plus éthique par rapport à d’autres modèles comme la souris, en permettant ainsi de nombreuses études sur le développement des poissons, et par extension, des vertébrés », souligne Frank Bonnet, CEO et cofondateur de la start-up. Durant sa thèse, il a travaillé au développement d’un robot-poisson constituant un leurre pour ses congénères de chair et d’arrêtes. C’est en voyant d’autres chercheuses et chercheurs travaillant sur ces derniers, penchés longuement sur un microscope pour trier les œufs dans leurs laboratoires, que l’idée a germé.
Son doctorat en poche, il se penche sur la conception d’une machine qui permette de verser en une seule fois le contenu d’un tube à essai contenant plusieurs milliers d’œufs. Un système micro-fluidique les aspire et les expulse l’un après l’autre dans une roue crantée. En tournant, cette dernière les fait passer devant une cellule photo. Sur la base du cliché, des algorithmes d’intelligence artificielle s’occupent du tri. Les œufs conformes sont directement pipetés sur une plaque de screening ou dans une boite de pétri alors que le rebut est dirigé vers un autre contenant. L’appareil est adaptablenotamment à la fluorescence lorsque certaines recherches nécessitent une manipulation génétique qui rend lumineuses certaines parties du petit animal comme les vaisseaux sanguins ou les neurones afin de les observer en temps réel. Les méthodes d’apprentissage profond quant à elles se basent, selon les préférences des scientifiques, sur l’état de fertilisation, le stade de développement, les caractéristiques morphologiques ou les biomarqueurs.
Une nouvelle version en préparation pour le tri d'autres minuscules entités
Depuis le dépôt du brevet en 2017, les deux cofondateurs ont obtenu divers fonds de démarrage, réalisé des tests auprès de différents laboratoires, notamment auprès d’une des plus grandes animaleries en Europe, le Karolinska Institutet en Suède. « Nous avons également une machine installée en permanence aux Etats-Unis, à l’Oregon State University. Cette dernière nous a déjà passé commande de plusieurs machines de nouvelle génération », note Frank Bonnet.
Sa première levée de fonds en 2021 - 1.3 millions de francs - lui a permis de finaliser son dispositif et de le rendre commercialisable. Alors qu’il sort cet automne, les cofondateurs de la start-up planchent sur une version permettant de faciliter le travail d’autres minuscules entités vivantes. « Par exemple, la recherche en agriculture ou la pisciculture sont des secteurs ou le tri des graines et œufs est important et fastidieux », souligne Ana Hernando, COO et co-fondatrice. Sélectionné par le programme Venture Leaders Biotech, Frank Bonnet se rendra mi-septembre aux États-Unis afin de rencontrer des investisseurs internationaux et ainsi que des leaders de ce marché de niche.