Une fibre optique innovante déployée au Groenland

Le déploiement de la fibre optique avec Julia Schmale de l'EPFL, à gauche. . © Dominik Gräff

Le déploiement de la fibre optique avec Julia Schmale de l'EPFL, à gauche. . © Dominik Gräff

Dans le cadre du projet GreenFjord, piloté par l'EPFL, des scientifiques ont testé avec succès une nouvelle technologie de fibre optique pour mesurer la dynamique du fjord d'un glacier situé dans le sud du Groenland.

Lorsque les glaciers fondent, d'énormes morceaux de glace se détachent et s'écrasent dans la mer. Ceux-ci génèrent des vagues de la taille d'un tsunami et laissent derrière eux un sillage puissant à mesure qu'ils s'éloignent. Ce processus, appelé vêlage, est important à comprendre pour les scientifiques. Mais le front d'un glacier reste un endroit dangereux pour la collecte de données.

Pour résoudre ce problème, une équipe de l'Université de Washington et d'institutions collaboratrices, dont l'EPFL, a utilisé un câble à fibre optique pour capturer la dynamique du vêlage dans le fjord du glacier Eqalorutsit Kangilliit Sermiat, dans le sud du Groenland.

Le vêlage du fjord Eqalorutsit Kangilliit Sermiat, dans le sud du Groenland.© Dominik Gräff

Cela leur a permis de documenter, sans s'approcher de trop près, l'un des processus clés qui accélère la perte de masse glaciaire et menace la stabilité des calottes glaciaires, avec des conséquences pour les courants océaniques mondiaux et les écosystèmes locaux. «Nous avons emmené la fibre optique jusqu'à un glacier et avons mesuré cet effet multiplicateur de vêlage incroyable que nous n'aurions jamais pu observer avec une technologie plus simple», indique le coauteur Brad Lipovsky, professeur adjoint en sciences de la Terre et de l'espace à l'Université de Washington. «C'est le genre de chose que nous n'avons jamais pu quantifier auparavant.»

Les résultats de cette démarche viennent de paraître dans la revue Nature, en version imprimée. Cette recherche a été menée dans le cadre du projet GreenFjord, piloté à l'EPFL par Julia Schmale, professeure assistante tenure track et directrice du Laboratoire de recherches en environnements extrêmes (EERL), situé à Sion.

La calotte glaciaire du Groenland, une couche de glace environ 41 fois plus grande que la taille de la Suisse, est en train de fondre. Les scientifiques documentent son recul depuis 27 ans, s'efforçant de comprendre les conséquences de cette perte de masse continue. Si la calotte glaciaire du Groenland venait à disparaître, elle libérerait suffisamment d'eau pour faire monter le niveau des océans d'environ 7,5 mètres, inondant les côtes et déplaçant des millions de personnes.

Les scientifiques pensent également que la perte de glace affaiblit la circulation méridionale de retournement des courants, un système de courants mondiaux qui contrôle le climat et la distribution des nutriments en faisant circuler l'eau entre les régions nord et sud.

Comprendre les points de basculement

«L'ensemble du système terrestre dépend, au moins en partie, de ces calottes glaciaires», explique Dominik Gräff, auteur principal de l'étude et chercheur postdoctoral en sciences de la Terre et de l'espace à l'Université de Washington. «C'est un système fragile, et le moindre dérèglement pourrait le faire s'effondrer. Nous devons comprendre les points de basculement, ce qui nécessite une connaissance approfondie des processus de perte de masse glaciaire.»

Pour les scientifiques, cela signifiait se rendre dans le sud du Groenland, là où la calotte glaciaire groenlandaise rencontre l'océan Atlantique, afin d'y déployer un câble à fibre optique. Au cours de la dernière décennie, de nombreux laboratoires ont étudié comment ces câbles pouvaient être utilisés pour la collecte de données à distance grâce à une technologie appelée «détection acoustique distribuée» (DAS), qui enregistre les mouvements du sol en fonction de la tension du câble. Avant cette étude, personne n'avait tenté d'enregistrer le vêlage glaciaire à l'aide d'un câble DAS sous-marin. «Nous ne savions pas si cela allait fonctionner», explique Brad Lipovsky, «mais maintenant, nous disposons de données qui confirment ce qui n'était auparavant qu'une idée.»

Les scientifiques ont largué un câble de 10 kilomètres à l'arrière de leur bateau, près de l'embouchure du glacier. Ils l'ont connecté à un petit récepteur et ont recueilli des données sur les mouvements du sol et des relevés de température sur toute la longueur du câble pendant trois semaines.

Le chargement du câble à fibre optique sur le navire de recherche Adolf Jensen. © Manuela Köpfli

Observation sous la surface

Le motif de rétrodiffusion des photons traversant le câble a permis aux chercheurs d'observer ce qui se passait sous la surface. Ils ont ainsi pu faire des observations nuancées sur les énormes morceaux de glace qui passaient à toute vitesse devant leur bateau. Certains d'entre eux, selon Brad Lipovsky, avaient la taille d'un stade et se déplaçaient plus vite qu'une voiture sur l'autoroute.

Les glaciers sont immenses, et la majeure partie de leur masse se trouve sous la surface de l'eau. La perte de masse est plus rapide sous l'eau, où elle ronge la base et crée un surplomb instable. Lors d'un vêlage, la partie en surplomb se détache et s'écrase dans la mer. Le vêlage progressif érode le glacier, mais de temps à autre, un événement majeur se produit. Au cours de l'expérience, les scientifiques ont assisté à un événement majeur toutes les quelques heures.

«Les icebergs se détachent et provoquent toutes sortes de vagues», explique Dominik Gräff. Après l'impact initial, des vagues de surface, appelées tsunamis induits par le vêlage, ont déferlé dans le fjord. Cela a agité la colonne d'eau supérieure, qui est stratifiée. L'eau de mer est plus chaude et plus lourde que la glace fondue et se dépose donc au fond. Mais longtemps après l'éclaboussure, lorsque la surface s'est calmée, les scientifiques ont observé d'autres vagues, appelées ondes de gravité internes, se propager entre les couches de densité.

Aussi hautes que les gratte-ciel

Bien qu'elles ne soient pas visibles depuis la surface, les chercheurs ont enregistré des vagues internes aussi hautes que des gratte-ciel qui secouaient le fjord. Le mouvement plus lent et plus soutenu créé par ces vagues a prolongé le mélange de l'eau, générant un apport constant d'eau plus chaude à la surface tout en poussant l'eau froide vers le fond du fjord.

Dominik Gräff compare ce processus à la fonte de glaçons dans une boisson chaude. Si vous ne remuez pas la boisson, une couche d'eau froide se forme autour du glaçon, l'isolant du liquide plus chaud. Mais si vous remuez, cette couche est perturbée et le glaçon fond beaucoup plus rapidement. Dans le fjord, les scientifiques ont émis l'hypothèse que les vagues, provoquées par le vêlage, perturbaient la couche limite et accéléraient la fonte sous-marine.

Le navire de recherche Adolf Jensen pendant le déploiement du câble à fibre optique. ©
Dominik Gräff

Ondes de gravité internes

Les scientifiques ont également observé des ondes de gravité internes perturbatrices émanant des icebergs lorsqu'ils se déplaçaient dans le fjord. Ce type d'onde n'est pas nouveau, mais leur documentation à cette échelle l'est. Les travaux précédents s'appuyaient sur des mesures spécifiques au site, effectuées à l'aide de capteurs placés au fond de l'océan, qui ne capturent qu'un instantané du fjord, et sur des relevés de température effectués à l'aide de thermomètres verticaux. Ces données pourraient contribuer à améliorer les modèles de prévision et à soutenir les systèmes d'alerte précoce pour les tsunamis provoqués par le vêlage.

«Une révolution dans le domaine des capteurs à fibre optique est en cours», conclut Brad Lipovsky. «Cette technologie est devenue beaucoup plus accessible au cours de la dernière décennie, et nous pouvons l'utiliser dans ces environnements extraordinaires.»

Financement

Cette recherche a été financée par la Fondation nationale pour la science des États-Unis, le FiberLab de l'Université de Washington, le Murdock Charitable Trust, l'Institut polaire suisse, l'Université de Zurich et le Centre allemand de recherche géoscientifique GFZ.

Références

"Nature", version imprimée, août 2025.

Liste des autres autrices et auteurs : Manuela Köpfli and Ethan F. Williams of the UW, Andreas Vieli, Armin Dachauer, Daniel Farinotti, Andrea Knieb-Walter, Enrico van der Loo, Raphael Moser, Fabian Walter, Diego Wasser, Ethan Welty of ETH Zurich, Jean-Paul Ampuero, Daniel Mata Flores, Diego Mercerat and Anthony Sladen of the Université Côte d’Azur, Anke Dannowski and Heidrun Kopp of GEOMAR | Helmholtz Centre for Ocean Research, Rebecca Jackson of Tufts University, Julia Schmale, of École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Eric Berg of Stanford University, and Selina Wetter of the Université Paris Cité