Une expérience kazakhe sur l'écriture
Une nouvelle étude de l’EPFL sur l’éventuel transfert des compétences d’écriture lorsqu’un enfant écrit dans deux écritures alphabétiques différentes peut ouvrir la voie à des outils numériques interlinguistiques capables de détecter les difficultés d’écriture.
Malgré la numérisation croissante de l’enseignement et l’utilisation des tablettes et ordinateurs portables à l’école, l’écriture reste au centre des apprentissages et forme le socle de nombreuses activités pédagogiques essentielles telles que la prise de notes, la rédaction et l’expression personnelle. Elle implique l’attention, la perception, la langue et la motricité fine.
Pourtant, environ un enfant sur quatre rencontre des difficultés d’écriture. Cela peut avoir des répercussions sur son développement, notamment des troubles dans l’apprentissage d’autres compétences, une fatigue accrue, des troubles du comportement et un manque d’estime de soi. La détection précoce des difficultés d’écriture est essentielle pour mieux la prendre en charge.
Tablettes et IA pour recueillir davantage d’informations
Aujourd’hui, une nouvelle spin-off de l’EPFL, School Rebound, a mis au point Dynamico, un outil capable de réaliser une analyse rapide, précise et fiable de l’écriture, en évaluant plusieurs dimensions. Il offre une solution adaptée grâce à différentes activités qui ciblent des compétences d’écriture spécifiques.
Chercheur de l’EPFL et dirigeant de School Rebound, Thibault Asselborn explique qu’en analysant l’écriture d’un enfant sur une tablette, Dynamico peut recueillir quatre fois plus d’informations que les tests analogiques traditionnellement utilisés. «Notre étude a révélé que toutes les données de vitesse et de pression ainsi que l’angle de l’outil scripteur, bien qu’ils soient imperceptibles à l’œil nu, sont plus importants que les informations statiques. Notre outil évite également les biais humains subjectifs.»
Conçue en collaboration avec des thérapeutes, l’application utilise ensuite l’intelligence artificielle pour suggérer des activités innovantes spécifiques à chaque enfant et à ses besoins.
Une expérience kazakhe unique
Initialement disponible en français, et bientôt en italien, en anglais et en allemand et publiée dans Nature Science of Learning, la dernière étude de l’équipe, dirigée par le professeur Pierre Dillenbourg, responsable du laboratoire d’ergonomie éducative (CHILI), a montré que l’application peut également être développée pour différents alphabets ou écritures.
Les chercheurs se sont penchés sur l’éventuel transfert des compétences d’écriture lorsqu’un enfant écrit dans deux écritures différentes, tels que les alphabets latin et cyrillique. Autrement dit, nos compétences d’écriture sont-elles intrinsèquement liées à un alphabet ou est-ce qu’un enfant rencontre les mêmes difficultés dans un type d’écriture que dans un autre? Un récent changement de politique au Kazakhstan a permis de mesurer cela car le pays est passé de l’alphabet cyrillique à l’alphabet kazakhe basé sur le latin.
Les chercheurs ont suivi des élèves de l’école primaire. Ils ont mesuré l’influence du nombre d’années à pratiquer le cyrillique sur la qualité de l’écriture dans l’alphabet latin. Les résultats ont montré que certaines différences entre les deux écritures étaient constantes dans tous les niveaux, ce qui reflète les divergences intrinsèques de la dynamique d’écriture entre les deux alphabets. Malgré les différences observées entre les deux alphabets (la pression, la vitesse et d’autres facteurs sont différents selon qu’un enfant écrit en cyrillique ou en latin), elles restaient également constantes chez les enfants. Autrement dit, un enfant qui présentait des difficultés d’écriture en cyrillique en rencontrait également en latin.
Les chercheurs ont découvert que la qualité de l’écriture cyrillique s’améliorait dans chaque niveau grâce à une plus grande pratique, de même que la qualité de l’écriture latine, malgré le même manque d’expérience en écriture latine de tous les élèves. Cette amélioration de l’écriture latine peut être interprétée comme un indicateur du transfert des compétences de motricité fine du cyrillique au latin.
Possibilités interlinguistiques
«Ces découvertes dévoilent un aspect intéressant: les algorithmes que nous avons mis au point pour le diagnostic des difficultés d’écriture chez les enfants francophones peuvent être pertinents pour les autres alphabets, ce qui ouvre la voie à la création d’un modèle interlinguistique pour la détection des difficultés d’écriture», affirme le professeur Pierre Dillenbourg.
Le développement des tablettes numériques ces dix dernières années a permis aux chercheurs de s’attaquer à ces problèmes car la dynamique de l’écriture peut désormais être évaluée. Cette étude montre le potentiel de développement de tests pour différents alphabets ou écritures, ce qui n’était jamais arrivé auparavant.