Une élégance mathématique pour façonner l'avenir du design

Moulage en C-Tubes. 2025 EPFL - CC-BY-SA 4.0

Moulage en C-Tubes. 2025 EPFL - CC-BY-SA 4.0

Des chercheuses et chercheurs de l’EPFL ont mis au point une nouvelle façon de concevoir des formes tridimensionnelles complexes et courbes à l’aide de matériaux plats tels que le papier, les feuilles d’aluminium ou le plastique, en combinant créativité et nouvel algorithme de calcul.

Avez-vous déjà formé un cylindre avec un morceau de papier ou essayé d’enrouler du papier d’aluminium autour d’un objet sans le froisser? Imaginez que vous puissiez transformer en toute simplicité un morceau de matériau plat en beaux meubles solides, en luminaires ou même en bâtiments et ponts.

Dans le monde de l’architecture et du design de produits, l’idée de créer des formes 3D complexes à l’aide de matériaux plats a toujours été un défi fascinant. Les feuilles plates en matériaux tels que le papier, le métal ou le plastique sont faciles à découper et à manipuler. Mais jusqu’à présent, leur transformation en formes courbes spécifiques nécessitait une ingénierie et un design astucieux, des outils de façonnage coûteux et souvent beaucoup d’essais infructueux.

Les "C-tubes"

C’est ici qu’entrent en jeu les "C-tubes", une nouvelle façon de construire des structures tubulaires courbes à l’aide de bandes plates qui se plient sans s’étirer ni se froisser. Ils ont été développés par des chercheuses et chercheurs du Laboratoire d’informatique géométrique (GCM) de la Faculté informatique et communications de l’EPFL. Ils ont présenté cette semaine un article sur le concept à la Conférence ACM SIGGRAPH 2025 qui a reçu la mention honorable «Best Paper».

«Dans l’architecture, l’ingénierie et le design, les surfaces que l’on peut fabriquer à partir de feuilles plates de matériau sont appelées surfaces développables. Une feuille de papier, par exemple, peut être roulée en forme de cylindre ou de cône sans subir de dommage», explique Klara Mundilova, chercheuse postdoctorale au GCM. «La conception avec des surfaces développables est délicat:e la plupart des méthodes nécessitent un réglage minutieux pour éviter les plis ou les distorsions. Nous empruntons une voie différente et assemblons des pièces qui deviennent développables par construction», poursuit-elle.

Les scientifiques ont mis au point un système selon lequel ils découpent des bandes plates dans une feuille, puis les plient et les relient pour former des tubes fermés qui se courbent, se tordent et s’enroulent dans l’espace. Ces C-tubes sont étonnamment rigides et solides, même s’ils sont fabriqués à partir de matériaux souples avant assemblage.

Derrière cette simplicité se cachent des mathématiques élégantes, et les concepts géométriques sous-jacents ouvrent de nouvelles possibilités passionnantes pour la conception et la construction avec des matériaux plats.

Concevoir de manière durable

«Nous avons développé un algorithme qui détermine comment concevoir des objets qui peuvent être assemblés à partir de pièces plates pouvant être coupées, pliées, puis assemblées. Notre algorithme ajuste les paramètres d’entrée pour que la forme finale corresponde à l’objectif de conception et pour qu’elle fonctionne en tant qu’objet physique de manière garantie», explique Michele Vidulis, doctorant au GCM. «En fin de compte, nous voulons libérer les designers des soucis de fabrication afin qu’ils puissent se concentrer sur l’esthétique et la fonctionnalité», souligne Quentin Becker, également chercheur postdoctoral au GCM.

Il s’agit d’une évolution importante, car l’un des plus grands défis en matière de design est de s’assurer qu’une forme est réellement réalisable. En effet, lorsque vous essayez de forcer un matériau plat à prendre une forme complexe après l’avoir conçue, il finit souvent par se froisser ou se déchirer, car la surface n’a pas été imaginée avec des matériaux du monde réel.

Le nouvel algorithme analyse la géométrie et la structure des formes possibles de C-tubes et les construit automatiquement de manière à garantir que toutes leurs pièces sont développables. De nouvelles connaissances mathématiques complétées par une optimisation numérique permettent de modifier la forme afin qu’elle corresponde aux objectifs de concepteurs. Ils peuvent de ce fait être plus rapides et plus créatifs dans leurs designs, et se concentrer sur des formes qui seront faciles à construire.

Mais les C-tubes et le nouvel algorithme présentent également d’autres avantages. «Ce processus de production est plus durable que la fabrication traditionnelle. Il y a moins de déchets par rapport aux méthodes de sculpture ou de moulage, et comme les structures en C-tubes sont légères avec une excellente rigidité, il faut globalement moins de matériau. Cela permet également d’économiser de l’énergie pendant la production, et les matériaux plats sont souvent plus faciles à obtenir, à transporter et à recycler», déclare Florin Isvoranu, architecte au Laboratoire d’informatique géométrique.

Une révolution pour le design et l’architecture?

Les C-tubes peuvent être appliqués à presque tous les designs 3D où la résistance et la légèreté comptent. Dans le cadre de leurs travaux en cours, les chercheuses et chercheurs ont déjà conçu des meubles, dont un fauteuil à bascule et un prototype de lampe.

À l’avenir, ils peuvent imaginer des applications dans l’architecture de bâtiments, de grandes structures de toiture ou de dômes, de coques de navires ou de design automobile, autant de formes courbes qui sont actuellement difficiles à construire. Comme dans de nombreuses industries, l’un des défis à surmonter sera le manque de volonté à l’adopter.

«Les C-tubes peuvent considérablement réduire le temps de conception des objets et contribuer à des produits plus durables, mais il peut se révéler difficile d’innover dans ces domaines. Les gens ont déjà d’énormes gammes d’outils à leur disposition. Nous voulons montrer qu’il est possible de créer des choses plus intéressantes sans augmenter la complexité de la production. Et nous aimerions trouver un partenaire motivé à utiliser cette technologie pour construire quelque chose avec nous!», résume le professeur Mark Pauly, responsable du GCM.

Dans l’ensemble, conclut-il, travailler pour le projet C-tubes a été fantastique, avec une interaction entre la matérialité, le design et les mathématiques élégantes.

«Nous avons évolué entre la création d’objets réels et la compréhension mathématique qui les sous-tend. Je trouve cela fascinant à plusieurs égards. La beauté et l’aspect physique du prototype de lampe que nous avons créé m’émerveillent et je trouve le côté mathématique tout aussi beau. Il y a une élégance à l’intersection de tout cela: une théorie intéressante, des algorithmes puissants, puis une technique de production physique.»


Auteur: Tanya Petersen

Source: EPFL

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