«Une de mes principales compétences est de former les autres.»

Suliana Manley in the lab with her super-resolution and smart microscopes. © 2025 EPFL / Alain Herzog

Suliana Manley in the lab with her super-resolution and smart microscopes. © 2025 EPFL / Alain Herzog

Dans sa carrière hors norme, la biophysicienne Suliana Manley a été la première à visualiser les plus petits éléments de la vie en action et à expliquer les mystères de leur comportement. Elle se consacre désormais à la communauté en formant les autres.

Suliana Manley est une biophysicienne reconnue. Elle saisit des détails de l’intérieur des cellules vivantes à un niveau de précision inédit grâce à la microscopie intelligente et à super-résolution. Elle étudie ainsi leur fonctionnement. La scientifique dispose en outre de l’extraordinaire faculté – et patience – de rendre largement accessibles concepts complexes. Ainsi, elle démontre sa curiosité, l’étendue de sa compréhension et un désir profond de partager ses connaissances. Aujourd’hui professeure au Laboratoire de biophysique expérimentale de l’EPFL, Suliana Manley est très engagée dans la promotion des carrières des scientifiques et dans la communauté académique, à travers son rôle de présidente du Women Professors Forum des EPF.

La chercheuse confesse ne s’être décidée pour la biophysique qu’après ses études doctorales. C’est un peu plus lent que d’ordinaire, admet-elle. Mais ce retard apparent révèle un de ses points forts: sa capacité à explorer de nouveaux territoires en fonction de ses intérêts propres, comme le montre sa carrière, lorsqu’elle a changé de pays ou d’orientation. Une fois sa voie trouvée, elle a rapidement décroché un poste de professeure à l’EPFL, immédiatement après son second postdoc. «J’ai toujours été attirée par une approche flexible et créative en sciences, ainsi que par celles et ceux qui partagent ces valeurs, explique-t-elle. Les idées, c’est vraiment ce qui fait avancer mes travaux scientifiques.»

D’une enfance dans une ferme au monde académique

Née à Hawaii, Suliana Manley a découvert dès le gymnase qu’elle excellait en physique et en mathématiques. «Mon prof de maths a commencé à nous soumettre, à moi et à deux autres filles, des problèmes supplémentaires, parce qu’il pensait que nous étions douées. C’était vraiment valorisant, et en plus c’était amusant!», se rappelle-t-elle. Le même enseignant était également chargé des cours de physique. Elle a donc décidé de s’y inscrire. «J’étais totalement fascinée par le fait qu’on puisse saisir les phénomènes du monde naturel à travers un ensemble très compact d'équations.»

Après le gymnase, elle quitte le nid familial pour se rendre à Houston, au Texas. Elle s’inscrit en maths et physique à l’Université Rice et développe sa curiosité pour la recherche scientifique. «Mes parents étaient agriculteurs, ils faisaient pousser des fleurs. C’était mon enfance et mon point de référence. Le monde académique m’était totalement étranger, et j’avais du mal à imaginer à quoi pouvait ressembler une carrière universitaire», raconte-t-elle.

De Harvard au MIT, au NIH puis à l’EPFL
« Je ne me suis pas sentie appelée par un doctorat, poursuit la scientifique. Je l’ai vécu comme un échec et fréquenté trois universités différentes.» De Harvard au MIT pour un premier post-doctorat, puis au National Institute of Health pour un second. «Ma directrice, Jennifer Lippincott-Schwarz, m’a envoyé le preprint d’un article sur de la microscopie à très haute résolution. Il a réveillé mon enthousiasme, se rappelle-t-elle. Cet article a conduit au prix Nobel 2014!» À partir de là, la chercheuse a mis au point une nouvelle méthode pour augmenter la microscopie à très haute résolution avec des dynamiques moléculaires. Sa carrière était lancée.

«Les scientifiques exploitaient l’idée selon laquelle on peut faire clignoter des molécules fluorescentes, et à partir de là déterminer avec une très grande précision où se trouvent ces molécules et en tirer des images. J’ai réalisé que cela permettait aussi de faire du suivi : on peut suivre des molécules isolément et cartographier leurs dynamiques. C’est important en biologie, parce que ça a permis de dessiner des cartes moléculaires à haute densité qui montrent comment les choses se diffusent ou sont transportées activement. Cette méthode a permis d’augmenter de plusieurs ordres de magnitude le nombre de molécules que l’on peut suivre dans une cellule.»

Modeler la communauté en faisant grandir les autres

Après cette découverte, Suliana Manley arrive à l’EPFL et continue d’y repousser les frontières de la biophysique avec sa microscopie intelligente et à super-haute résolution. Elle soutient aussi la communauté scientifique : «Être professeure, c’est réfléchir aux moyens de faire s’épanouir les gens autour de vous. Une des principales compétences que j’ai développées, c’est de former les autres.»

«Pendant la pandémie de covid, j’ai ressenti le besoin impérieux de repenser mes priorités et de consacrer mon énergie à construire des connexions et des communautés», poursuit-elle. Elle entame l’enseignement d’un cours intitulé Scientific Journey pour les doctorantes et doctorants de l’EPFL. Il avait pour but de «reconnaître que la plupart des gens ne savent pas vraiment ce que c’est que faire une thèse de doctorat», mais aussi de dispenser des conseils qu’elle-même aurait probablement appréciés pendant ses études. Elle organise aussi des rencontres en ligne pour le Women Professors Forum. «Nous avons déclenché des actions comme laCommission sur le statut des femmes au sein du corps professoral à l’EPFL et rédigé des prises de position sur les politiques qui affectent les femmes à l’EPFL et à l’ETH Zurich. Je veux mettre fin à l’idée qu’il faut avoir une vocation pour faire carrière en science. C’est une erreur de penser qu’être un scientifique doit constituer l’entier de votre identité, explique-t-elle. Cette perception constitue peut-être l’une des barrières au monde académique. C’est important d’être créatif, d’avoir une perspective unique à apporter à la recherche, et c’est pour cela que la diversité est essentielle aux découvertes scientifiques.»


Auteur: Hillary Sanctuary

Source: Bureau de l'Egalité

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