Une cellule virtuelle par IA futur simulateur universel en biologie?
Plus de 40 chercheuses et chercheurs issus des domaines de l’IA et de la biologie, y compris de l’EPFL, ont exposé leur vision des cellules virtuelles basées sur l’IA, en affirmant qu’elles ont le potentiel de révolutionner le processus scientifique.
La cellule est l’unité fondamentale de la vie, c’est-à-dire une entité merveilleusement complexe dont les propriétés et les comportements défient les limites de la modélisation physique et informatique. Malgré les difficultés, la modélisation et la simulation de la fonction et du comportement cellulaires sont importantes pour comprendre le fonctionnement des cellules et déterminer les causes à l’origine des maladies.
Aujourd’hui, les récents progrès de l’intelligence artificielle générative et de l’apprentissage machine, associés à la capacité de générer des données expérimentales à grande échelle, offrent des possibilités inédites de modélisation des cellules.
Un nouvel article de référence, publié dans le numéro spécial du 50e anniversaire de Cell, intitulé «How to Build the Virtual Cell with Artificial Intelligence: Priorities and Opportunities», présente une vision des cellules virtuelles basées sur l’IA. Quarante-deux autrices et auteurs dans les domaines de l’IA et de la biologie, issus du milieu universitaire, de la philanthropie et du secteur privé, soutiennent que le développement d’une cellule virtuelle IA – un modèle informatique piloté par l’IA qui simule la fonction biologique et les interactions d’une cellule – est possible si la communauté scientifique mondiale relève le défi en collaboration avec l’industrie et le milieu universitaire.
Il s’agit notamment d’une proposition de leur conception et de la façon de les créer, des propriétés et des capacités qu’elles devraient posséder, ainsi que de la manière dont les nombreux efforts parallèles en matière d’IA pour la biologie et la médecine peuvent être intégrés dans un simulateur universel de biologie cellulaire.
«Créer des modèles cellulaires virtuels n’est pas une tâche facile, mais grâce aux collaborations scientifiques ouvertes dans le domaine de la biomédecine, une compréhension prédictive complète des fonctions et des interactions cellulaires est à portée de main. Tant de leaders importants se sont réunis pour rédiger cet article afin d’engager une discussion mondiale sur la manière dont nous pouvons y parvenir», explique Charlotte Bunne, professeure assistante à la Faculté informatique et communications et à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL et autrice principale de l’article.
Cet article souligne que deux révolutions spécifiques de la science et de la technologie – l’«omique» (différentes disciplines de la biologie dont le nom se termine par le suffixe «omique», comme la génomique) et l’intelligence artificielle – ont créé une opportunité sans précédent pour une vision ambitieuse d’une cellule virtuelle basée sur l’IA, à savoir un modèle multi-échelle et multimodal basé sur un grand réseau neuronal qui peut représenter et simuler le comportement de molécules, de cellules et de tissus à travers différents états.
Sur le plan expérimental, l’augmentation exponentielle du débit des technologies de mesure a conduit à la collecte d’ensembles de données de référence importants et croissants au sein de différents systèmes cellulaires et tissulaires, et entre eux. La quantité de données recueillies a doublé tous les six mois depuis plusieurs années. En informatique, les progrès de l’IA ont amélioré la capacité d’apprendre des schémas et des processus directement à partir des données sans avoir besoin de règles explicites ou d’annotations humaines. L’IA répond à la triple caractéristique d’être prédictive, générative et interrogeable, ce qui est essentiel pour la recherche et la compréhension biologiques.
Les autrices et auteurs de l’article soutiennent qu’en s’appuyant sur ces avancées, les outils existent désormais pour développer une représentation basée sur un réseau neuronal entièrement piloté par les données d’une cellule virtuelle IA qui, à un certain niveau, est indépendante de tâches ou de contextes spécifiques et permet de nouvelles capacités.
«Une cellule virtuelle IA devrait permettre une nouvelle ère de simulation en biologie où, par exemple, les biologistes du cancer modélisent la façon dont des mutations spécifiques font passer les cellules de l’état sain à l’état malin; les biologistes du développement peuvent prévoir comment les lignées développementales évoluent en réponse à des perturbations dans des cellules souches spécifiques; ou les microbiologistes peuvent prédire les effets d’une infection virale non seulement sur la cellule infectée, mais aussi sur son organisme hôte», poursuit Charlotte Bunne.
«Ces modèles donneront plus de pouvoir aux expérimentalistes et aux théoriciennes et théoriciens, transformant les moyens par lesquels les hypothèses sont générées et hiérarchisées, et permettant aux biologistes d’étendre considérablement leur champ d’action, de mieux s’adapter aux énormes échelles de la biologie et d’accélérer la découverte des facteurs sous-jacents à la fonction cellulaire», déclare-t-elle.
En reliant les mondes des systèmes informatiques, de l’IA générative moderne et des agents d’IA ainsi que de la biologie cellulaire, la cellule virtuelle IA pourrait finalement permettre aux scientifiques de comprendre les cellules en tant que systèmes de traitement de l’information et de créer des représentations virtuelles de la vie. À mesure que la cellule virtuelle IA permettra de mieux comprendre les systèmes cellulaires et moléculaires, elle permettra aussi de plus en plus aux chercheuses et chercheurs de les programmer et de concevoir de nouveaux systèmes synthétiques.
Le groupe de leaders en IA et en biomédecine est également un fervent défenseur de la science ouverte et soutient que cette approche sera cruciale pour rallier l’engagement communautaire, inspirer des consortiums internationaux de grande envergure à relever le défi et, en fin de compte, garantir le succès.
«Les cellules virtuelles basées sur l’IA présentent un potentiel particulier pour la médecine personnalisée, où nous sommes en mesure de générer le jumeau numérique d’une patiente ou d’un patient et d’aligner les stratégies de diagnostic et de traitement dans le contexte des mesures collectées historiquement à travers les systèmes biologiques et les études. Elles fournissent également une plateforme pour simuler différents choix de traitements et facilitent ainsi la prise de décision clinique», affirme Charlotte Bunne. «Cet article présente une vision à long terme très ambitieuse d’une nouvelle ère d’exploration scientifique. Avec les cellules virtuelles IA, nous avons bon espoir de pouvoir percer de nombreux mystères de la santé et des maladies humaines au cours de ce siècle», conclut-elle.