Une cartographie mondiale de la biodiversité forestière
Des scientifiques de l’EPFL et de l’ETH Zurich cartographient la biodiversité forestière à l’échelle mondiale. Mises en relation avec les projections climatiques, ces données dégagent des tendances utiles à la conservation et à la restauration de ces écosystèmes.
D'une superficie totale d'un peu plus de 4 milliards d'hectares, les forêts du monde couvrent actuellement un tiers de la surface terrestre mondiale, d'après les derniers chiffres de l'Organisation des Nations unies* pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Sources de matières premières, puits de carbone, régulation et protection du climat, réservoir de biodiversité, espace de bien-être, leurs bienfaits pour la planète sont multiples. Pourtant environ 31 % de toutes les espèces d'arbres sont menacées d'extinction au niveau mondial selon l’évaluation la plus récente**. De nombreux efforts sont entrepris afin d’améliorer la résilience des écosystèmes forestiers. Mais quelles sont les zones qui présentent les plus forts changements ? Quelles sont les régions à protéger en priorité ? Quelles sont les espèces d’arbres résistantes à l’impact local du changement climatique ? L’approche innovante que les scientifiques de l’EPFL ont développée en collaboration avec leurs homologues de l’ETHZ et qui fait aujourd’hui l’objet d’une publication dans Nature Communications, offre une mine d’informations pour éclairer les décisions politiques et planifier la gestion durable des forêts au niveau mondial.
Cela n’avait jamais été fait à une échelle aussi importante et avec autant d’espèces. Ces résultats nous permettent d’obtenir un aperçu de la biodiversité globale des forêts, au-delà des régions qui sont très bien documentées
Des cartes détaillées de la répartition de plus de 10'000 espèces d’arbres
Pour cette étude copilotée par le Laboratoire de science computationnelle pour l’environnement et l’observation de la Terre (ECEO) ainsi que deux groupes de recherche de l’ETH Zurich, près de 26 millions d’observations d’arbres ont été prises en compte et combinées avec des données géospatiales décrivant le climat et les sols ainsi que des contraintes de dispersion géographiques, qui contiennent des espèces d'arbres dans leur aire de répartition indigène déclarée. « Nous voulions éviter les erreurs de prédiction, telles que les espèces qui devraient se trouver dans un endroit donné simplement parce que le climat s'y prête, bien qu'elles soient invasives », précise Nina van Tiel, doctorante à l’ECEO. Sur les 73'000 espèces d’arbres recensées sur la planète, les 10’590 les plus répandues ont été prises en compte, excluant pour l’instant les espèces rares. « Nous avons comptabilisé les variétés qui disposaient d’au moins 90 observations enregistrées, soit le seuil pour obtenir des modèles avec une bonne performance prédictive », poursuit-elle.
« Cela n’avait jamais été fait à une échelle aussi importante et avec autant d’espèces, explique Devis Tuia, professeur du laboratoire. Ces résultats nous permettent d’obtenir un aperçu de la biodiversité globale des forêts, au-delà des régions qui sont très bien documentées ». Les modèles développés par les scientifiques conduisent également à des prédictions de la distribution des espèces en tenant compte des températures estimées par différents scénarios climatiques jusqu’en 2100. « Malgré de grandes incertitudes en lien avec la projection de ces modèles dans le futur, le grand nombre d’espèces modélisées nous permet d’obtenir une idée de l’évolution de la biodiversité avec le changement climatique. »
Les données, compilées sous forme de cartes, montrent la diversité de la signature sylvestre des forêts à travers le monde. Les lignes de partage se font selon des types d’arbres aux caractéristiques comparables, mais aussi selon des liens de parenté entre les espèces. Chaque site est associé à un ensemble unique d'espèces d'arbres et de lignées résultant de facteurs historiques et écologiques. « Les résultats globaux confirment ce que l’on attendait, souligne Loïc Pellissier, professeur associé au département de science des systèmes environnementaux de l’ETHZ. D’autre part, ces cartes permettent de calculer l’aire de répartition des espèces à travers le monde. « Mais nos modèles montrent aussi que certains arbres tropicaux ont des aires de répartition très étendues, ce qui renvoie aux découvertes d'espèces hyperdominantes dans le bassin amazonien ».
De quoi souffrent les forêts ?
Les défis de la gestion forestière sont considérablement aggravés par les changements rapides du climat. Au fur et à mesure que les conditions climatiques changent, la distribution potentielle des espèces végétales se modifie. Comme l’a constaté Nina van Tiel, « le changement climatique affecte la composition des espèces - dans certaines régions, le climat pourrait devenir inadapté à plus de la moitié des espèces qui s'y trouvent actuellement, tandis que dans d'autres régions, de nombreuses nouvelles espèces pourraient trouver des habitats adaptés à l'avenir ». La réaction des espèces d’arbres à ces changements varie cependant considérablement d'une région à l'autre. Les chercheuses et chercheurs ont élaboré une cartographie des aires de répartition appropriées dans le futur à l'aide de modèles statistiques. « Même s’il s’agit d’une approche évolutive qui devra être mise à jour, ce type d’analyse offre des indications cruciales pour la conservation et la restauration des forêts, soulignant l’urgence d’actions concertées pour protéger la biodiversité forestière mondiale », conclut Devis Tuia.
Cette étude met en avant le caractère unique des forêts à travers le monde, tant au niveau des espèces qui s’y trouvent, de l’historique, de l’utilisation des sols et des conséquences du changement climatique. Pour Thomas Crowther, professeur à l’ETHZ, « ces résultats peuvent aider les personnes qui souhaitent conserver et restaurer des écosystèmes en offrant une perspective globale, qui doit être combinée avec des observations locales et les connaissances des expertes et experts ». Des listes d’arbres locaux issues de cette étude ont d’ores et déjà été intégrées à Restor, une plateforme du Crowther Lab à l’ETHZ, avec lequel l’ECEO a collaboré pour cette étude.
*Chiffres de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture
** State of the World’s Trees, September 2021, Botanic Gardens Conservation International
Nina van Tiel, Fabian Fopp, Philipp Brun, Johan van den Hoogen, Dirk Nikolaus Karger, Cecilia M. Casadei, Lisha Lyu, Devis Tuia, Niklaus E. Zimmermann, Thomas W. Crowther & Loïc Pellissier. Regional uniqueness of tree species composition and response to forest loss and climate change. Nature communications. Mai 31 2024. https://doi.org/10.1038/s41467-024-48276-3